Musique

Rencontre avec Charlelie Couture à l’occasion de la sortie de Fort Rêveur

13 December 2010 | PAR Amelie Blaustein Niddam

C’est dans la galerie W, la plus New-Yorkaise de Paris,  que l’amoureux de Big Apple nous a reçu pour parler de son dernier album au format hors norme, Fort Rêveur et de son travail de plasticien et photographe.

Fort rêveur est un album pessimiste posant un regard lourd sur le monde. Comment regardez-vous le monde du haut des buildings New-yorkais ?
L’art est une suggestion, il y a une grosse part d’interprétation. Je suis de ton avis, ce que j’évoque dans le disque correspond à ce que je ressens, qui est lié à la fois à une appréhension du présent différente de celle que j’avais quand j’étais ici dans la mesure où en France on considère souvent le présent comme le sommet du passé alors qu’à New-York,  le présent c’est souvent est la base du futur. Au lieu d’être debout sur quelque chose qui a existé avec une vision idéalisée de l’avenir on voit les choses pour ce qu’elles sont, avec un regard plus pragmatique. Le présent devient une course permanente vers un avenir réinventé. Il n’y a pas de sécurité En tant qu’artiste ça a plutôt tendance à exciter.

Êtes-vous dans une phase de doute ? Dans plusieurs morceaux,  vous demandez à quoi sert un artiste, vous dites haïr ce que vous êtes.
Je dis clairement « Être un artiste aujourd’hui c’est comme être sur la plage avant le Tsunami ». Le doute fait partie de la vie d’artiste, on vit avec uniquement des rêves et un idéal. Je porte à l’intérieur de moi quelque chose que j’emmènerai jusqu’au bout. Si je suis certain d’une seule chose, ce sont mes doutes. Le monde de l’art est un monde d’impulsion, de sensation, d’émotion et pas du tout un monde de contrôle. Même quand parfois  j’atteins les buts que je me suis fixé, tout de suite je glisse et un nouveau défi s’ouvre, chaque défi est synonyme de questions. Être un artiste, c’est vivre avec des émotions qui vous transportent du maximum de joies aux grandes angoisses.

Comment s’est construit l’album ?
Je l’ai porté pendant presque 4 ans, sans savoir jusqu’à la fin du mois de mai comment il allait être finalisé. J’ai eu la chance de rencontrer Jacques-Antoine Granjon et Vente-privees.com qui m’ont fait confiance pour la fabrication de cet « objet-disque » un peu particulier.
Mon dernier album, en 2006 avait mis plus de 10 mois à sortir parce que la personne qui m’avait signé était partie de la maison de disque, personne ne voulait prendre le relais. Il fallait trouver un moment idéal qui ne venait jamais. Pendant la tournée Newyorkcoeur j’ai eu du succès sur scène, cela m’a rassuré vis-à-vis du public mais je suis absent des médias qui font le bruit culturel. J’avais le sentiment de ne pas être désiré par les médias mais avec le public ça se passait bien, alors, j’ai écrit des chansons. Quand la tournée s’est terminée, il y a 3 ans, derrière je n’étais pas poussé par une instance me forçant à produire quelque chose. Moi comme j’étais parti à New-York pour me retrouver dans le domaine de ce qui est mon autre forme d’expression , les arts visuels, je me suis concentré sur la raison pour laquelle j’étais parti, c’est-à-dire le développement d’un certain nombre d’autres choses que je ne peux pas formuler de la même manière en chanson et en peinture , c’est pour ça que je me définis comme « multiste » c’est-à-dire que je choisi le mode d’expression en fonction de ce que j’ai à dire.
Je travaille sur la construction avec l’idée qu’il y a d’une part le rationnel et d’autre part l’intuitif. J’essaie de réfléchir et tout mon travail est un travail sur le construit et l’inconstruit et la dé-construction et reconstruction. Ça je n’ai pas de raison de le faire en chanson, c’est un autre sujet. Je peux le traiter en chanson, mais autrement. En France je n’arrivais pas à être crédible car je ne n’étais vu que comme un chanteur.

Comment êtes-vous perçu à New-York ?
Je n’existe pas, si ce n’est par ce que je fais. A New York on est ce qu’on est. J’ai une galerie entre la 8e et la 9e avenue. Quand les américains entrent ils sont attirés par ce qu’ils voient. Ils disent « c’est beau », « combien ça coute », « c’est bien que vous soyez dans le quartier ». Ils disent « je » .Quand un français entre, il demande « est-ce que ça marche ? », c’est-à-dire, qu’est-ce qu’en pense les autres. On forme son avis sur l’avis d’autrui. A New York les gens sont ce qu’ils sont avec leur arrogance, leur naïveté, leur intention, leur énergie…ce n’est pas le même rapport avec les choses.
Cela m’a permis de me reconstruire sur la base de ce que je suis sans chercher à savoir si l’avis d’autrui me soutien, le jour où les médias américains s’intéresseront à moi je serais content mais leur absence ne m’empêche pas d’exister. Dans mon travail de plasticien, je peux vendre seul assez de pièces pour survivre. Les médias américains ne me connaissent pas mais ce n’est pas blessant comme quand les médias français m’ignorent.

Vous restez associé à « Comme un avion sans ailes ». Dans ce nouvel album vous faites une ironie en insérant un bout du refrain dans « Faire Comme ». Est-ce pour vous libérer de cette chanson-héritage ?
Un jour j’ai vu une publicité, je crois pour Smalto où il était inscrit en grand « Wise men make a like » sous-entendu « les gens intelligents font comme ». Ce n’est pas dans cette culture là que j’ai été élevé. J’avais été élevé dans l’idée que l’homme indépendant, l’homme libre a un système qui n’est justement pas aligné sur le jugement d’autrui. Je me suis interrogé. J’ai pensé que la société avait changé. Nous vivons dans le monde de la com et la communication mène à inciter les gens à s’aligner sur une pensée majoritaire qui va être considérée comme bonne. Mon ancienne maison de disque voulait me faire faire une chanson « comme » “Comme un avion sans ailes” . Est-ce que j’existe en étant la copie de ce que je suis ? C’est à cela que la chanson « faire com » fait allusion. C’est une boutade.
Mais, j’ai beaucoup de plaisir à chanter  “comme un avion sans ailes”, parce-que c’est une chanson sur le feu, sur l’enthousiasme. Elle dit  : même si les éléments sont contre toi va jusqu’au bout. La fille ne l’écoute pas, il fait mauvais, la nuit on ne sait même plus si c’est la nuit, il y a de l’orage, pas d’éclairs, mais lui il fredonne sa petite chanson ( il fredonne l’air du refrain). Aujourd’hui je commence à m’en foutre mais j’ai eu le sentiment pendant des années d’être ramené à ça.

Si vous deviez choisir un morceau du nouvel album ?
Le chef d’œuvre sur ce disque là, c’est  “Le phénix “.  Je me suis autorisé à faire un long morceau. Je n’ai rien à perdre, j’ai fait 17 musiques de films , j’avais un plaisir à amener des gens dans la longueur d’un film comme Tchao Pantin. J’avais un texte sur la reconstruction de l’Amérique après l’élection d’Obama, le morceau fait quasiment 10 minutes, ce ne sera pas forcement un succès mais c’est quand même beau !

Peux-ton regarder ce qui nous entoure ? Nous sommes à la galerie W où certaines de vos œuvres sont exposées. Racontez-moi.
J’ai fait plus de 90 expositions, j’ai exposé dans 80 endroits avant de partir à New York mais le milieu de l’art me reléguait dans le domaine des comédiens qui font de l’art en plus. A la différence de Gainsbourg qui a brulé ces toiles, moi j’ai toujours montré mon travail. J’ai réalisé que si je ne me mettais pas dans un terrain neutre je ne serais jamais au fond qui je suis parce qu’on me disait ce qu’il fallait être. J’entendais « non mais attend, tu es un chanteur »
A la mort de mon père en 2002, lui qui m’avait toujours soutenu dans le domaine des arts visuels, j’ai eu le sentiment que si je voulais savoir à quoi je ressemble il fallait que j’aille m’adresser à des gens qui ne me préjugent pas. Mon travail a pu se reconstruire à l’énergie pure de cette ville de NYC qui me fascine.

Racontez-moi ces trois toiles derrière vous
Nous sommes dans la galerie W , la plus new-yorkaise de Paris, aussi bien dans le choix de la diversité des œuvres que dans la taille de cette galerie qui est un endroit accessible, coloré et ouvert sur l’art contemporain. Pas sophistiquée, pas maniérée. Depuis un an, je leur confie des photos. En ce moment il en reste trois. (Il montre deux photos de New York).  Celles-ci sont extraites d’un livre de photo « New York By Charlelie » aux Éditions du Chêne.
Cette toile (il montre une peinture grand format), est plus spécifique de mon travail de plasticien, à savoir ce que j’appelle les « photo grafs », comme celles que j’avais présenté à La galerie Baudoin Lebon. C’est une conjonction entre la peinture et la photographie La photographie est une captation du réel alors que la peinture est la formalisation du mystère intérieur. Quand on fait de l’art, tout découle d’une visite dans le subconscient. Les artistes vont donner une forme à leur émotion. Ce que tu fais est la conséquence de ton propre fantasme.
Là ce qu’on voit, c’est comme si on était dans ma cervelle qui regarde le monde. J’ai peint sur une photo que j’ai faite, la photo étant déjà pensé comme un tableau, ensuite je retravaille dessus comme l’on dessine avec son doigt sur une vitre embuée. Le support en vinyle m’est particulier, il rattache à la culture urbaine et aussi le rapport avec l’image qui n’est pas seulement un rapport de figuration mais aussi d’interprétation. J’ai fait beaucoup de choses comme ça.

L’album vient de sortir sur vente privée.com et sera dans les bacs en janvier, il est en soit une œuvre d’art.
L’originalité de la sortie sur Vente-privee .com c’était de pouvoir sortir un objet de 24 cm sur 24cm.
On y entre. On peut l’ouvrir, il y a des photos, les textes, le cd. Tout ça pour 6 €.  Je trouve ça plus agréable qu’un bon pour dix téléchargements. Je n’arrivais pas à faire passer le message de cet objet là auprès des maisons de disques sous prétexte que ça ne rentrait pas dans les bacs. Ce que je reproche au cd c’est de ne pas être une œuvre en tant que tel. J’ai voulu faire quelque chose « à l’ancienne ». Je trouve qu’une photo de 12 cm est moins forte qu’un grand format, c’est pareil pour le disque. Je ne voulais pas d’une pochette cristal transparente qui casse. J’ai déposé le brevet de ce packaging, j’ai eu la chance avec Marc-Antoine Granjon et vente-privee.com, en association avec Colissimo qui offre la gratuité, de pouvoir proposer l’ensemble à 6 € quand les maisons de disques le proposaient à 24.

Je suis heureux de dire qu’on est 4e meilleur vente de la semaine. En termes de distribution, c’est une belle gageure.

 

Charlelie Couture, Fort Rêveur, vente-privee.com, 6 €

 

Portrait par Pierre-Antoine Foulquier pour Gerard Chic

Photo : Park ave snow par Charlelie Couture, extrait de  New York-Scope. A découvrir sur le site de Charlelie Couture.

 

 

 

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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