Théâtre
Marcon / Novarina : près de trente ans après, le verbe vibre encore

Marcon / Novarina : près de trente ans après, le verbe vibre encore

21 February 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

Pour un seul soir, André Marcon reprenait, à la Maison de la poésie, le texte terriblement difficile de Valère Novarina qu’il créa en 1986. On n’allait tout de même pas craindre le poussiéreux: on sait que Marcon est un grand. Animaux, animaux, pas de déception à l’horizon… Mais hélas pas d’autre date non plus.

[rating=4]

Marcon et novarinaAnimaux, animaux, goûtez-la bien, l’atmosphère, quand vous pénétrez dans la salle de la Maison de la poésie, à Paris dans le troisième : la scène à l’ancienne, les rideaux qui bâillent au fond et sur les côtés, les techniciens qui parlent derrière au début et qu’on entend. Oui, on sent l’épure, la place laissée aux mots, sans autre forme d’artifice. Animaux, animaux, voyez l’entrée d’André Marcon sur ce plateau, et le rideau qui laisse entrevoir, derrière lui, le panneau d’issue de secours lumineux. Sera-t-il impossible de se concentrer ? Non. Car le bonhomme manie le verbe comme un dompteur son fouet. Sera-t-on en résistance totale face à ce texte ardu ? Non. Car l’engagement de son interprète dans chacun de ses mots saura –occasionnellement, d’autres fois on lâchera- nous enlever de notre siège.

Animaux, animaux, écoutez-le, ce discours. Le Discours aux animaux, de Valère Novarina, publié en 1987. Ou plus exactement, ce soir, L’Animal du temps, d’après Le Discours aux animaux. Une adaptation du pavé, en… une heure seulement. C’est que les mots se bousculent, s’enchaînent en vraie cascade et… nul effet de mise en scène ne vient s’insérer entre eux. Mais qu’y a-t-il à voir alors ? Animaux, animaux, regardez: il y a André Marcon.

Ecoutez-le commenter son entrée –sa naissance ?- parmi les tombes et leurs épitaphes. Ecoutez-le crier son nom de multiples fois : Jean… on ne sait plus très bien quoi. Ecoutez-le lister rageusement ses activités au sein du monde. Narrer ses rencontres avec un docteur, ou ses balades en forêt. Chanter sa famille, et partant raconter sa drôle d’absence à l’univers. Enumérer des noms savants d’oiseaux auxquels il s’adresse avant sa disparition… Animaux, animaux, vous vous demanderez ce qu’il veut raconter. Une vie entre nature et compagnie des hommes, on peut penser. Et entre ces pôles, une diablesse de contradiction insoluble. Tout cela dans une lave littéraire, incroyablement composite.

Ah ! –nimaux !-  cet exercice vire à l’exécution parfois. On peut alors se prendre à rêver: quelle résonance a-t-il eu en 1986, dans le contexte théâtral de l’époque ? Aujourd’hui, il apparaît comme une performance de haut vol, avec une pointe de folie qui se serait en allée.

Qu’importe: Marcon est là. Il habite et il mange. Grand duel avec les mots qui se bousculent. Duel dans lequel on entre. Animaux, animaux, accrochez-vous, ces mots ne vont pas vous laisser en paix. La science, la littérature, la religion, la philosophie… tout se mêle dans la grande marmite. Les mots échangent leurs genres ou leurs fonctions. Naissance d’une nouvelle langue. Tentez d’en attraper des bribes… en livre !

Pas d’autre date, en effet, pour cette reprise. Rabattez-vous donc sur le livre, si vous ne l’avez pas déjà fait. Cette langue est pour vous. Lisez-la. Imaginez-la. Proférez-la. Libérez-vous.

Le Discours aux animaux ainsi que ses deux versions réduites, L’Animal du temps et L’Inquiétude, sont publiés chez P.O.L. .

Visuel : André Marcon et Valère Novarina © Valère Novarina

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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