Cinema

Tamara Drewe : Stephen Frears Rock’n Roll

23 July 2010 | PAR Olivia Leboyer

Après les froufrous belle époque de “Chéri”, Stephen Frears passe aux shorts moulants très comic strip. Avec Tamara Drewe, Stephen Frears se livre à une sorte d’interprétation au carré. Le film adapte en effet la BD éponyme de Posy Simmonds, elle-même librement inspirée du roman de Thomas Hardy, Loin de la foule déchaînée. On aurait pu craindre un film surchargé de références et de clins d’œil. Mais Tamara Drewe est une petite mécanique parfaitement au point, aussi ajustée que les shorts moulants de l’héroïne.

Tamara, jeune journaliste bloggeuse, belle comme une image, revient dans le petit village de son adolescence, après la mort de sa mère. Son apparition fait l’effet d’un détonateur dans cette atmosphère apparemment paisible, mais terriblement confinée et étouffante. A Stonefield, résidence pour écrivains en quête de sérénité et d’inspiration, un petit groupe de gens de lettres cohabitent en surjouant l’enthousiasme bucolique. Il y a l’universitaire, Glen, un vieux garçon qui peine sur un essai consacré à Thomas Hardy (!), l’écrivain poseur qui met son chapeau pour signaler qu’il ne faut en aucun cas lui adresser la parole, quelques vieilles filles qui écrivent pour elles seules en rêvant d’une très improbable publication (heureusement qu’on peut déverser sur internet tous les écrits refusés, se console l’une d’entre elles !). Les propriétaires de cette résidence, Nicholas et Beth Hardiman, un romancier à succès coaché par une femme totalement dévouée, ne peuvent dissimuler à leurs hôtes le naufrage de leur mariage. Nicholas ne cherche même plus à donner le change, avouant tranquillement ses infidélités, nécessaires à son énergie créatrice. Se sentant naturellement supérieur, il affiche d’ailleurs, à l’égard des pensionnaires de Stonefield, une arrogance sans animosité, et dénuée de la moindre curiosité pour autrui (impossible de mémoriser jusqu’au prénom de Glen, avec qui il n’échange pas deux mots de suite). Sa femme, Beth, encaisse, tient le choc, espérant secrètement un retour de flamme. Rongés par l’envie, occupés par de minuscules mesquineries quotidiennes, tous ces personnages nourrissent des frustrations intellectuelles mais aussi sexuelles.

Que l’arrivée de Tamara concentre les désirs réprimés n’a rien d’étonnant. L’originalité de l’intrigue tient au caractère même de Tamara Drewe. Sous une plastique irréprochable, elle cache en effet des frustrations et des complexes plus inavouables encore que tous les autres protagonistes réunis. La splendide journaliste est une ancienne moche, qui s’est débarrassée depuis peu de ses kilos et de son énorme nez. Aussi ne sait-elle pas exactement comment se comporter avec naturel, sa beauté l’enthousiasmant comme un tout nouveau jouet. Elle va ainsi conduire trop vite cette belle carrosserie trop parfaite, entraînant les autres dans son sillage déréglé. Une rock star de passage dans le coin (le personnage, matador inoffensif et immature, est mille fois plus drôle chez Stephen Frears que dans la BD), un jardinier sain de corps et d’esprit (c’est bien le seul personnage qui ne se pique pas d’écrire), le fat Nicholas, tous se laissent séduire, sujets à cette erotolepsy théorisée par Thomas Hardy, dans Jude l’Obscur notamment. C’est facile, beaucoup trop facile, pour une jeune femme qui voudrait bien qu’on l’aime aussi pour ce qu’elle croit être, une fille intelligente et gentille en mal d’affection. Mais le petit nez, les gros seins et le short riquiqui prennent toute la place. Tous courent après Tamara, qui ne sait plus après quoi courir, prête à aimer le premier venu (enfin, surtout s’il représente quelque chose socialement). En écho au malaise de Tamara, deux adolescentes fantasques, gavées de magazines people, fascinées par la rock star ferrée par Tamara, vont donner à l’histoire un grand et fatal coup d’accélérateur. Irrésistibles, plus vraies que nature, les deux jeunes actrices contribuent à renforcer le charme d’un film décidément plutôt rock. Pour ceux qui ont lu la BD : Stephen Frears a changé la fin.

“Tamara Drewe”, de Stephen Frears, avec Gemma Arterton, Dominic Cooper, Roger Allam, Grande-Bretagne, 1h49 min,  sortie le 14 juillet 2010.

A 5 heures de Paris, une comédie sentimentale très loin des lieux communs
Un Qatari à l’assaut de Manhattan
Avatar photo
Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

2 thoughts on “Tamara Drewe : Stephen Frears Rock’n Roll”

Commentaire(s)

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration