Cinema

Audiard, le prophète sans ciseaux

28 August 2009 | PAR Yaël Hirsch

Grand prix du jury du festival de Cannes, Un prophète de Jacques Audiard était le film français le plus attendu de cette rentrée. Film d’apprentissage en prison aux images somptueuses, un prophète écrase son public en longueurs : 2h35 !

proph1Désormais majeur à l’âge de 19 ans, Malik El Djebena (Tahar Rahim) est incarcéré à la « centrale ». Il en a pris pour six ans. Dans la prison les Corses dirigés par Cesare (Niels Arestrup) dominent. Ils forcent le jeune homme à travailler pour eux. Ce baptême va forcer le jeune homme frêle et solitaire à utiliser son cerveau. Il apprend à lire, à parler Corse, fait le go-between avec les Arabes et  se lance dans la maîtrise des rouages d’un monde masculin où l’on s’entre-utilise sans foi ni loi pour devenir un cador…

Avec un thème fort et original, la prison, Jacques Audiard promettait pour son 5 e long métrage un film exceptionnel. Et cependant, ce prophète traîne en longueurs. Quelle que soit la beauté des plans, rien ne justifie 2h35 de film. Au niveau du message, si les rouages de la domination sont extrêmement bien analysés, Audiard qui nous avait habitué à éclairer certains aspect ambigus de la nature humaine (Un héros très discret, Sur mes lèvres et De battre mon cœur s’est arrêté) est trop occupé à jouer lui-même le rôle du prophète du cinéma pour creuser les relations entre ses personnages.

On croit qu’un lien père/fils va se nouer entre Malik et Cesare ; il n’en est rien. Malik ne sacrifie rien pour devenir « parrain », il calcule, c’est tout. Même le personnage du meilleur ami qui lui apprend à lire (Adel Bencherif) a un cancer pour rien : il sert Malik. Point. Et les femmes qui pourraient être complètement absentes, font quelques apparitions où elles servent soit à sucer, soit à enfanter. En l’absence de tout lien humain et filmés de l’extérieur, les excellents Nils Arestrup et Tahar Rahim, aussi charismatiques soient-ils, en sont réduits à toujours montrer le même visage. Quant à leur répliques, elles se vident de sens pour tomber comme des pierres.

Enfin, si les scènes de sang et de rêves sont formellement superbes et si  leurs accents mystiques justifieraient le titre.,elles sont tout aussi inutiles dans l’économie du film : dans un tel monde, il n’y a finalement pas de transcendance. Et la dernière heure du prophète qui se transforme en film de gangster au gré des sorties de 12 heures de Malik est réellement pénible. Dommage que personne n’ait dit au réalisateur de prendre les ciseaux et la colle pour sagement couper ses jolies images et donner un rythme et un sens à un film qui aurait pu être un coup de poing.

Un prophète, de Jacques Audiard, avec Tahar Rahim, Niels Arestrup, Adel Bencherif, Gilles Cohen, France, 2009, 2h35

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

8 thoughts on “Audiard, le prophète sans ciseaux”

Commentaire(s)

  • Erwan

    Toujours très bien écrite tes critiques, Yael :)
    Mais absolument pas d’accord avec toi

    August 29, 2009 at 20 h 12 min
  • Erwan

    écrite’s’

    August 29, 2009 at 20 h 12 min
  • Baptou

    Profondément d’accord avec toi Yael. Continue à regarder le cinéma et le monde d’un point de vue éthique et moral. Y en a peu qui le fond. Pense à Aristote: ” Le regard devant la conséquence de l’acte, tel est le meilleur éthos”!!

    January 31, 2011 at 3 h 06 min

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