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Saint Germain: le cœur de la culture arabe à Paris?

Saint Germain: le cœur de la culture arabe à Paris?

05 January 2018 | PAR Donia Ismail

Saint Germain est connu de tous: ses bouquinistes en bord de Seine, ses cafés ou encore ses librairies, le quartier parisien est la vitrine par excellence du Paris carte postale adoré par les touristes. Pourtant, au milieu de tout cela, bat le cœur de la culture arabe.

En nous réveillant ce matin, nous avions comme une interrogation qui nous revenait sans cesse: y-a-t-il une once de culture arabe à Paris? Si oui, où se cache-t-elle? Étant d’origines algérienne et égyptienne, nous avions comme un besoin vital d’entrevoir des traces de notre culture en plein Paris. Une piste: Saint-Germain. Après tout ce quartier abrite la Grande Mosquée mais aussi le haut lieu de la culture arabe à Paris, l’Institut du monde arabe. Qui sait ce que l’on pourrait découvrir d’autre?

C’est un Saint-Germain gris, quelque peu triste, qui nous ouvre ses portes. Mais les trombes d’eau ne nous empêchent pas d’arpenter ses rues à la découverte du monde arabe. La pluie s’intensifie de plus belle, et pour lui échapper nous nous réfugions dans une librairie, 18, rue des Fossés Saint-Bernard, face à l’Institut du monde Arabe.

img_3436Depuis sont ouverture en 1996, la Librairie de l’Orient est aux mains de la famille Mansour, un business de famille qui se transmet de père en fille.
L’endroit est petit — très petit— mais dégage quelque chose, un certain charme. On s’aventure alors dans ce labyrinthe du savoir. Sont alignés sur les étagères, des milliers de livres: romans philosophiques, initiatiques, ou encore spirituels, en langue arabe ou en français; il y en a pour tous les goûts. Rania Mansour y travaille à temps complet. Elle est passionnée de littérature arabe, et cela se sent. Lorsqu’elle cite le nom d’auteurs marquants comme l’égyptien Naghib Mahfouz, ses yeux se remplissent d’étoiles, elle esquisse un doux sourire et dit « Il n’y a rien de plus réconfortant que le livre ».
Son père, fondateur de la librairie, a décidé de s’installer à Saint Germain, choix longuement réfléchi affirme Rania. « Ce quartier là de toute façon est connu pour ses librairies et ses éditeurs. Les intellectuels arabes se retrouvaient dans le quartier latin, organisaient des cafés littéraires. C’était leur QG ». Mais un élément de taille a pesé dans la balance: c’est l’Institut du Monde arabe (IMA), « L’IMA a joué un rôle important. Il a permis à pleins d’initiatives, comme la nôtre, de se développer plus largement ».

img_3433Elle s’est donnée pour mission d’entretenir la flamme de la culture arabe dans ce quartier malgré « la fermeture successive de plusieurs librairies arabes dans le coin. […] Autour de nous il y avait deux bibliothèques. Il ne reste que nous d’ouvert ». Cela n’a rien à voir avec la culture arabe en elle même, affirme-t-elle « Le livre est en crise partout. Des librairies arabes ferment mais aussi des librairies plus généralistes ».

Rania, aux côtés de sa famille, lutte pour maintenir ouverte la Librairie de l’Orient. « Ce qui nous permet de survivre, c’est notre maison d’édition »Elle continuera à faire exister cette culture et à la faire dialogue avec le quartier de Saint Germain.

Damas au coeur de Paris

La pluie s’est calmée, alors nous re-voilà, Boulevard Saint Germain.
La culture arabe existe à travers la gastronomie. En France, l’art culinaire arabe se résume à un mot: le couscous, qui occupe d’ailleurs la seconde place des plats préférés des Français. Mais il existe tant d’autres saveurs et délices venant d’Orient.
La Rose de Damas, non loin de l’Institut du Monde arabe, vous invite en Syrie le temps d’un repas. À sa tête, un personnage, burlesque sur les bords. Tayssir, syrien de naissance, à tout quitter en 2008 pour se lancer dans ce « projet fou »: ouvrir un restaurant qui rendrait hommage à la cuisine de ses parents. « Des amis m’ont dit un jour: ‘‘Tayssir, fait nous rêver avec un restaurant syrien’’ ». C’est ce que j’ai fait ».

Il a fait le pari d’une cuisine syrienne, « comme à la maison ». Il ajoute, « Je voulais que tous les produits soient frais, de bonne qualité ».
Ce qui fait la différence entre Tayssir et d’autres restaurateurs, c’est sûrement sa complicité avec les convives. Il s’assoit auprès d’eux, leur explique l’origine des plats, les nombreuses histoires de son pays natal. « Lorsqu’on entend parler de la Syrie dans les médias, c’est pour évoquer la guerre, le sang. Je veux montrer une autre facette de mon pays. Le faire découvrir aux invités à travers la gastronomie ». Cette approche pédagogique semble plaire aux clients. « J’ai l’impression de voyager à chaque bouchée » confie Sophie, 35 ans.
C’est au son de Sabah Fakhri, Fairuz ou encore Oum Kalthoum que nous nous attablons: feuilles de vignes, houmous, grillades ou encore mezzés, entre gourmandise pure et gourmandise intellectuelle, La Rose de Damas est un lieu onirique au croisement entre deux civilisations.

Le patron c’est lui

Mais Tayssir ne s’y méprend pas. C’est grâce à l’Institut du monde arabe que le business tourne. Parce qu’après tout c’est lui le patron. Il y a quelques années, la Rose de Damas se trouvait dans le quartier de Montparnasse. Lorsqu’il a dû changé de lieu pour son restaurant, Saint Germain était une « évidence »: « Être aussi près de l’Institut du Monde Arabe est une chance pour nous ». Cette proximité fait de la Rose de Damas un stop quotidien pour des dizaines de visiteurs.

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Salle du Haut ConseilComment parler de la culture arabe à Saint Germain sans y faire un tour? L’Institut du Monde arabe, ouvert en 1987 est un détour obligatoire dans notre quête. Arrivés sur le parvis, il semble émerger du sol. Ce bâtiment novateur, hommage à l’architecture arabe avec ses moucharabiehs, rompt totalement avec les bâtiments haussmanniens des alentours.

En 1987, alors que le PS était en meilleure forme qu’il n’est aujourd’hui, la France était dirigée par François Mitterrand. Son ministre de la culture de l’époque, Jack Lang, propose un projet totalement nouveau pour l’époque: créer un lieu dédié à la culture arabe. Le lieu est choisi: ce sera le 15ème arrondissement qui abritera l’Art arabe. « Les plans des constructions étaient trop classiques, trop académiques. François Mitterrand m’a alors dit ‘‘Je crois comprendre que vous préfériez faire appel à un nouvel architecte’’. J’ai acquiescé : je préférais surtout un architecte plus jeune. », nous confie Jack Lang, président de l’Institut du Monde Arabe, assis dos à un tableau de Cherkaoui. Est appelé alors le jeune architecte prometteur Jean Nouvel, qui dessine alors ce qui est devenu l’Institut du Monde arabe. Mais il fallait trouver un autre emplacement qui justifiait le changement d’architecte. « Il se trouve que ce terrain était libre, alors nous l’avons choisi ». Eric Delpont, directeur du musée de l’IMA, ajoute que lorsque l’annonce de mettre sur pied un institut consacré à l’Art arabe dans le 15 ème arrondissement, il y a eu une « levée des boucliers des riverains qui ne voulaient pas que le monde arabe soit à leur porte ».

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L’une des missions principales de l’IMA est « de mieux faire comprendre les civilisations et les cultures qui se sont épanouies dans ce qui est aujourd’hui le monde arabe » affirme Eric Delpont., mais aussi de mettre en lumière la diversité de cette culture arabe qui « n’est en aucun cas homogène. […]  Elle ne peut être réduit à quelques idées reçues, quelques préjugées» .
Mieux faire comprendre les civilisations arabes, mais comment? En mettant en place des expositions — comme Chrétiens d’Orient— , des initiatives qui montrent la diversité religieuse, culturelle et de peuplements de cette région. Comprendre l’autre pour avancer, pour lutter contre le fanatisme, telle est la mission de l’Institut depuis le premier jour. « Dès lors que l’on parie sur l’intelligence, sur la beauté, sur l’harmonie, sur la recherche de la vérité, on peut dire que c’est un pas en avant contre l’ignorance, la bêtise, les préjugés, la xénophobie. » martèle Jack Lang.

Trente ans après, l’IMA a-t-il réussi à changer l’image de la communauté arabe en France? Il est difficile de se prononcer. Ce qui est sûr c’est que l’Institut du monde arabe avec son musée fraichement rénové, mais aussi avec ses colloques, ses forums, ses débats et ses expositions, tente d’établir un pont entre les différentes cultures. Et par ailleurs, il a su donner un coup de projecteur à une civilisation qui fût dans l’ombre pendant trop longtemps.

visuel:
vue de l’ima: IMA – Rambaud
moucharabieh: IMA – Cateloy
flickr/Roman Boed

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Donia Ismail

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