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Réseaux sociaux et gameurs : ambivalence du soi exposée avec possible célébrité à la clé

Réseaux sociaux et gameurs : ambivalence du soi exposée avec possible célébrité à la clé

14 October 2014 | PAR Sandra Bernard

L’exposition du soi est un fait sociologiquement nouveau ayant émergé avec l’apparition de la télé-réalité il y a maintenant plus d’une dizaine d’années, suivi de peu par la création des premiers réseaux sociaux (Facebook en 2004, Twitter en 2006, etc.). Entre disparition de la notion d’intimité et mise en scène du moi, les réseaux sociaux constituent un moyen sans précédent d’exposer à la face du monde un soi idéalisé souvent un peu fantasmé. Dans cette nouvelle ère a émergée la notion d’identité virtuelle et d’e-réputation qu’il faut savamment entretenir non seulement pour ses proches, mais également vis a vis de la sphère professionnelle et des “autres”. Cette auto-promotion forcenée crée de nouvelles vocations et de nouveaux métiers : Community manager, streamer, youtuber, joueurs professionnels, etc. qui sont autant de nouvelles pratiques mêlant allègrement les sphères privées et publiques. Si ce phénomène touche désormais toutes les catégories socio professionnelles et tous les âges, certains groupes se distinguent par leurs pratiques novatrices à l’image des gameurs vis à vis des réseaux sociaux. 

Les joueurs sont en effet une force motrice non négligeable de la vie des réseaux sociaux. Disposant de codes et de langages particuliers, ils sont parvenus à faire émerger de nouvelles pratiques dans la vie publique 2.0.

Game Streaming

Encore marginal avant 2010, le game-streaming est aujourd’hui une tendance forte de la toile. Le game-streaming est la pratique consistant, pour les joueurs, à lancer une capture vidéo de leur écran pendant qu’ils jouent et de déposer sur les sites de vidéos leurs plus belles actions (prise d’un camp adverse dans les MMO [jeu en ligne massivement multi-joueurs], speed run sur des jeux de légende ou sur les hit du moment, enchaînement de perfects dans les jeux de combat, tir mémorable en FPS [Tir à la première personne] ou en jeu de sport, etc.). Certaines vidéos deviennent particulièrement populaires, accumulant des millions de vues et une foultitude de commentaires. Mais au dela de la gloire virtuelle et de sa marchandisation, qui dit vidéo vue à plusieurs milliers voire millions de reprises, dit publicité. Parmi les jeux les plus populaires se trouvent League of Legends (LoL pour les intimes), Minecraft (les vidéos du français Bob Lennon rencontrent un franc succès), etc. Autre grande tendance, le commentaire de jeu ancien ou récent, sous un angle souvent humoristique, qui a permis de faire émerger quelques grandes figures du net comme le Joueur du Grenier.

Ce phénomène de professionnalisation des joueurs du net est concomitant avec l’avènement de l’e-sport ou pro-gaming. Ces compétitions d’un nouveau genre, très populaires aux Etats-Unis et en Asie, sont de plus en plus présentes en Europe et en France. Des cessions de live gaming sont enregistrées lors de compétitions ou de représentations au cours de salons (Paris Games Week et le plus grand rendez-vous français) avant d’être diffusées sur internet. Les joueurs les plus prometteurs repérés sur internet via leurs vidéos ou lors de compétitions de moins grandes envergures sont souvent recrutés par de grands fabricants de composants (Western Digital, Red bull, etc.) ou bien par des éditeurs de jeux vidéo (les mythiques Fragdolls d’Ubisoft depuis 2004 par exemple). Cependant, les effectifs sont rarement stables dans les teams pro, mais leurs membres acquièrent une importante renommée sur les réseaux sociaux. D’autres, à l’image de Kayane, travaillent en indépendant.

Cependant, toutes ces stars et starlettes du net, propulsées sur le devant de la scène par leurs performances vidéoludiques sont devenues des acteurs des réseaux sociaux incontournables dans la sphère du gaming.

Twitch et les autres réseaux sociaux

Concernant les réseaux sociaux, et plus particulièrement Twitter, il est intéressant d’étudier les profils de ceux qui se définissent comme gamers voire pro-gamers. Concernant le pro-gaming, les réseaux sociaux sont vus comme un outil de travail des plus performants. Les communautés de gamers sont très actives et les conversations entre individus garnissent les fils d’informations … publiques. C’est tout aussi vrai pour certaines des stars précédemment citées, qui n’hésitent pas à tenir des conversations privées entre elles aux vues et aux sus de tous. Ce sont aussi de puissants relais de communication informelle sur les événements et les nouveautés vidéo-ludiques.

Outre twitter, il faut désormais compter avec twitch. Twitch est un réseaux social basé sur le partage et le commentaire de vidéos entièrement dédié aux jeux vidéo et aux joueurs. Particularité, les vidéos sont en direct, même si un système de replay est disponible. Suite à la croissance rapide du site fondé en 2011, deux géants du net viennent de s’affronter pour son rachat : Google et Amazone avec une victoire surprise du second. Côté français, fanatiC game lancé il y a deux ans par deux jeunes bretons, réunit aujourd’hui plus de 50 000 membres, ou encore GameWedge et ses 13 000 followers ou Frenchgamers, et bien d’autres encore.

Dans la même veine, Les chaînes privées de gamers sur YouTube et autres sont légion Ces hébergeurs de vidéos sont considérés comme des réseaux sociaux car il est possible de s’abonner à une chaîne, de liker, de partager, de commenter, etc… le contenu mis en ligne. On notera que la part des chaînes de joueuses dépassant le million d’abonnées est relativement importante. Plus encore, le site japonais Nico nico douga (lancé en 2006) particulièrement populaire sur l’archipel nippon, via lequel il est possible de regarder et de commenter des vidéos en direct. La particularité de ce site est que les commentaires apparaissent sur la vidéo au minutage précis. Des dialogues se forment alors entre les utilisateurs du site.

Les jeux vidéo disponibles sur les réseaux sociaux

Jeux vidéo et réseaux sociaux peuvent être encore plus intimement liés. L’on distingue deux formes de ce mariage récent : les casuals games, disponibles en flash sur facebook par exemple, et les réseaux des éditeurs et des constructeurs de consoles et de jeux. Ces deux voies permettent de toucher un très large public.

Vers 2010, il devenait possible pour les adeptes des réseaux sociaux, et plus particulièrement de facebook, de jouer à des mini-jeux directement sur leur réseau social. Grace aux types variés mais de conception simple tant sur la forme que sur le fond et leur prise en main rapide, il a été permis à ces mini-jeux, souvent gratuits (free to play) de toucher un large public majoritairement composé de joueurs occasionnels (casuals gamers). “Selon Philippe Torres, directeur des Études et du Conseil à L’Atelier BNP Paribas, « avec l’apparition des casual games, notamment sur les réseaux sociaux, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle génération de jeux. Un type de jeu qui n’est ni engageant, ni impliquant, et qui de ce fait touche maintenant l’ensemble des internautes. » ” source. Autre facteur de succès, les joueurs sont incités à inviter leurs “amis” à jouer également au jeu : une compétition à grande échelle qui pousse le joueur à toujours rejouer pour battre des records et les partager dans son fil d’actualité. Il y a cependant encore une marge qualitative entre les jeux pc/consoles et les jeux flash de Facebook. Le nombre de joueurs sur facebook est tel qu’il attire désormais la convoitise des publicitaires.

A l’opposé, les joueurs réguliers, voire très réguliers, se voient proposer par les constructeurs de consoles et éditeurs de jeux vidéo AAA (très gros budget), des plateformes de type social permettant  aux joueurs d’échanger, de se défier, d’acheter du contenu, etc. Mais certains vont plus loin, à l’image de Blizzard Entertainement, éditeur de World of Warcraft (WoW) qui a souhaité faire “un partenariat avec Facebook afin de permettre à ses joueurs de communiquer en jeu en créant un gigantesque réseau social entre les licences du groupe, et au passage monétiser les informations qu’elle détient sur un nombre conséquent de joueurs à travers le monde. Après plusieurs jours de fronde, les joueurs ont cependant obtenu qu’ils puissent avoir le choix de révéler ou non leur identité.” source

Face sombre

Cependant, comme il peut arriver sur internet avec les communautés, l’usage des réseaux sociaux peut entraîner des campagnes de dénigrement et de diffamation ainsi que du bad buzz, comme en témoignent deux affaires récentes touchant l’étudiante en sociologie Anita Sarkeesian et la développeuse Zoe Quinn. Toutes deux ont été violemment attaquées et menacées sur les réseaux sociaux pour des raisons très différentes. Ces deux “non-affaires” ont vu les réseaux sociaux (entre autres) transformés en champs de bataille avec divulgations d’informations personnelles sur les deux jeunes femmes sans leur accord (ce qui est un crime). Anita Sarkeesian a également utilisé twitter pour annoncer qu’elle et sa famille avaient été menacées, mais que la police avait été prévenue. La haine primaire dont elles ont fait l’objet est révélatrice de la versatilité et de la volatilité des réseaux sociaux (ce qui est aussi vrai pour les autres milieux, à commencer par la politique). Notons que les twittos se sont également mobilisés en faveur des deux jeunes femmes et l’on a vu fleurir des hastags tels #welovegamedevs (pour les développeurs) et #notallgamers en soutien à Anita Sarkeesian. L’on connait également le hastag #1reasonwhy accompagnant des récits de femmes (et d’hommes) impliqués dans le monde du jeu vidéo source. Ces dérives ne concernent heureusement qu’une portion, remuante mais relativement peu nombreuse, des gameurs.

Les réseaux sociaux sont ainsi des catalyseurs de certains des aspects les plus sombres de la personnalité de leurs utilisateurs. Si le déploiement de haine est généralement passager, le narcissisme est en revanche une valeur intrinsèque de ces nouveaux médias. Les gameurs se mettent en avant via leur pseudo et leur classement, leur appartenance à une team pro, un blog ou une chaîne YouTube connue, etc. Ils décorent leur page de profil avec des illustrations e leurs héros/jeux/consoles préférés. Faisant de leur pratique du jeu vidéo une part importante, voire la façade principale de leur identité numérique.

Pour conclure, les réseaux sociaux et leurs possibilités ne sont autre qu’une catharsis pour bon nombre de gameurs soucieux de partager (de manière positive ou négative) leurs passions avec une communauté toujours plus large et foisonnante. Caché derrière son écran, il est également facile de s’enflammer de manière positive ou négative. Enfin, Les réseaux sociaux sont aussi le moyen d’obtenir une reconnaissance sociale, et parfois également, professionnelle dans la sphère vidéo-ludique. Les réseaux sociaux, en portant la parole aux yeux du plus grand nombre, permettent également aux joueurs de véhiculer une autre image des jeux vidéos. En effet, ne sont-ils pas les mieux placés pour en parler et déceler les amalgames et clichés encore, hélas, trop souvent véhiculés par les médias traditionnels ?

Pour aller un peu plus loin :

Serge Tisseron, L’intimité surexposée, hachette Littérature

Stephan Vial, L’être et l’écran, puf

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Sandra Bernard
A étudié à l'Université Paris Ouest Nanterre la Défense l'Histoire et l'Histoire de l'Art. Après deux licences dans ces deux disciplines et un master recherche d'histoire médiévale spécialité histoire de l'Art dont le sujet s'intitulait "La représentation du costume dans la peinture française ayant pour sujet le haut Moyen Âge" Sandra a intégré un master professionnel d'histoire de l'Art : Médiation culturelle, Patrimoine et Numérique et terminé un mémoire sur "Les politiques culturelles communales actuelles en Île-de-France pour la mise en valeur du patrimoine bâti historique : le cas des communes de Sucy-en-Brie et de Saint-Denis". Ses centres d'intérêts sont multiples : culture asiatique (sous presque toutes ses formes), Histoire, Histoire de l'Art, l'art en général, les nouveaux médias, l'art des jardins et aussi la mode et la beauté. Contact : sandra[at]toutelaculture.com

6 thoughts on “Réseaux sociaux et gameurs : ambivalence du soi exposée avec possible célébrité à la clé”

Commentaire(s)

  • Très bon article, excellente analyse.
    Je ne connaissais pas ce site (honte à moi), et je pense y revenir souvent!
    J’arrête là mon spam-comment (mais il était sincère)…
    Sommes nous à l’aube d’une nouvelle ère, je ne sais pas mais il est vrai, que pour un microcosme (ne nous voilons pas la face, elle reste quand même minime) le gaming est devenu une institution, prenant souvent plus de place que la vie IRL. Loin des débuts de Second Life et consorts, on peut se demander comment les gamers gèrent leur réputation à ce deuxième niveau de profondeur. Et surtout comment ils arrivent à gérer les deux niveaux (Real Life et le Jeu) pour ne pas s’emmêler les pinceaux et laisser apparaître des informations facilement croisables entre les deux univers.

    October 14, 2014 at 19 h 57 min
  • Gaeos

    C’est minEcraft,pas mindcraft. et pour complété ton article,bob ne c’est pas fait connaitre grâce a minecraft (en partie,mais juste un peu), mais grâce a son playthrought (vidéo suivant la partie complète de quelqu’un qui joue) sur Skyrim(épisode 5 de la série des elder scroll,également utiliser au même titre que fable pour la psychanalyse.
    Cordialement,
    Un gameur

    October 20, 2014 at 23 h 13 min
  • Gaeos

    P.S: je tiens a te félicité pour cet article.
    En effet, j’ai l’habitude des article qui disent que le gaming transforme les gens en psychopathe et que les joeur confonde systématiquement vrai vie et seconde vie, opposé au article écrit par des gamer,manquant d’argumentation et vantant les jeux,mais sans argumentation.
    J’ai donc eu la joie de voir un article totalement objectif.
    Merci pour ca.

    October 20, 2014 at 23 h 19 min

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