Théâtre
Volksbühnen-Diskurs, l’ultime révolte de René Pollesch à sa tribune sur la Rosa-Luxemburg-Platz

Volksbühnen-Diskurs, l’ultime révolte de René Pollesch à sa tribune sur la Rosa-Luxemburg-Platz

02 December 2016 | PAR La Rédaction

Par Samuel Petit


L’ultime création de René Pollesch au grand théâtre sur la Rosa-Luxemburg-Platz de Berlin se veut un spectacle aux allures de discours révolté contre la mort annoncée de la Volksbühne, en tant qu’esprit et lieu d’inspiration de ce même esprit.

C’est la conséquence logique de la fin contrainte par le Sénat de Berlin de l’ère Castorf à la tête de la Volksbühne depuis 1992 pour l’été prochain : ses vieux compagnons de route dans cette institution n’ont pas le choix face à ce changement que de présenter des spectacles en résonance avec cette Apocalypse comme l’a nommée Herbert Fritsch en Juin dernier sur la scène du plus emblématique des théâtres de Berlin-Est. Alors que Cristoph Marthaler, à la rentrée, a deja rendu un hommage majestueux à l’esprit unique de cette institution à l’agonie dans Bekannte Gefühle, Gemischte Gesichter, René Pollesch propose une mini-série en trois épisodes sous forme de discours empreint de révolte, de folie, enfin de réflexions psychologiques et métaphysiques.

Prenant le contre-pied de Marthaler, Pollesch propose une création bavarde, à l’image du nom complet de la pièce : Diskurs über die Serie und Reflexionsbude (Es beginnt erst bei Drei), die das qualifiziert verarscht werden great again gemacht hat etc. Kurz: Volksbühnen-Diskurs. Cette exubérance de mots frôle tout au long de la représentation l’impuissance et c’est en cela justement que la piece est touchante. Car si le mot Diskurs en allemande revêt un sens purement bourdieusien, c’est en fait sans doute, paradoxalement, plutôt au sens communément usité en français du terme qu’il faut ici le comprendre : celui d’un discours prononcé par Pollesch sur la tribune qu’est la Volksbühne, discours politique, aux accents post-marxistes, teinté d’autoréflexion sur ce lieu et sur soi-même en tant qu’humain et homme de théâtre.

Bien sûr il s’agit ici d’un discours théâtral, c’est-à-dire visuel et prononcé par l’intermédiaire de ses trois acteurs clownesques, Milan Peschel, Trystan Pütter und Martin Wuttke. Leur entrée sur le devant de la scene se fait à l’aide d’une grue artisanale en bois, sur une musique de Leonard Bernstein proche de celle des peplum. C’est le début d’une série d’hommages en forme de moqueries à l’endroit du cinéma américain ou plus généralement d’une culture américaine crainte et admirée à la fois.

D’entrée de jeu, les trois personnages cherchent leur place, critiquent le décor, inachevé à leurs yeux, les costumes, incomplets (de la panoplie de cowboys, ils n’ont que les chapeaux et une combinaison rouge faisant office de sous-vêtement complet d’époque. Aussi, le public est assis a même le sol en asphalte, peu confortable, les sièges des spectateurs n’ont pas été installés. Une quatrième figure accompagne les trois personnages sur scène : celle de la souffleuse, habilement incorporée à la pièce cependant. Cette représentation a ainsi tout de prématuré. La question qui se pose dès lors est de savoir si elle peut tout de même commencer et sur quelles bases.

Car nos personnages n’ont pas d’identité, ne savent pas trop quel est leur problème, et partant quel pourrait être le moteur de l’intrigue à jouer. Fort est de constater pour eux qu’une ébauche de costumes est là : manquant d’inventivité, ils seront tout simplement les Trois Amigos, évoquant comme dans la comédie éponyme de John Landis la peur que leur inspire El Guapo.

D’intrigue, il n’y en aura pas. De véritable pièce non plus. En référence sans doute à toutes celles que les vieux routiers de la Volksbühne ne monteront jamais sur cette scène. Les personnages sont là pour relayer de manière confuse et géniale les réflexions et délires de Pollesch, basés sur ses lectures (Badiou, Slawoj Zizek, Lacan) et autres références culturelles plus pop. Avant et après la représentation, It´s our party de Miley Cyrus résonne dans la Großes Haus. Les paroles du refrain sont explicites: “We like to party / … / Doing whatever we want / This is our house / This is our rules”. Ainsi, les trois amigos joueront consécutivement avec la camera et la vidéo à singer Phil Collins, avec un scarabée géant sur lesquels ils feront du rodéo, avec une fausse boule de pailles, ou encore tout simplement avec un fil de téléphone dans lequel ils s’emmêlent pendant que le décor est déconstruit par les techniciens. Les personnages déboulent sur scène endormis sur un divan de psychanalyste en bois téléguidé au début du second épisode, et voltigent sur du Johann Strauss avec le lustre géant de la grande salle. Ils ne savent plus qui ils sont et ce qu’ils ont fait entre le premier et le second épisode. La raison : un “hangover” similaire à celui des héros de Very Bad Trip.

Ces délires viennent illustrer un des leitmotivs du personnage central du Diskurs interprété par Martin Wuttke : celui qui ne comprend rien, mais trouve ça génial („Ich hab’ nichts verstanden, aber ich fand’s ganz toll”). Jusqu’au point où cela finit par le préoccuper profondément, s’interrogeant au sujet de quoi cette non-compréhension serait le symptôme… Un parallèle est fait avec des réactions classiques d’un certain public du théâtre contemporain qui peut s’exprimer ainsi en rentrant chez lui après une représentation : je n’ai rien compris mais c’etait génial.

Le jeu d’acteur sert à merveille cette confusion ambiante. Les personnages tentent au fur et à mesure de raconter ce qui les tracasse mais n’arrive pas à achever leur récit ou à capter l’attention plus de une ou deux minutes de leurs partenaires. Aux interrogations obsessionnelles de Wuttke au sujet de son fameux syndrome, ses deux partenaires répondent simultanément deux choses différentes, ce qu’il ne peut – et nous non plus ne pouvons – pas comprendre. Une illustration efficace de ce qu’il trouve génial au fond.

Mais le propos central de la pièce est à déceler dans une méta-lecture de celle-ci. Quand les personnages évoquent les travaux de Lacan a Saint-Anne, des ceux qui parlent aux murs, c’est bien Pollesch lui-même qui s’exprime à travers la bouche de ses personnages. C’est l’auteur Pollesch plus encore que le metteur en scène qui parle au mur de la Volksbühne, si tant qu’on puisse les dissocier : le sens de la parole et peut-être du bâtiment lui-même serait de pouvoir “s’entendre soi-même” que “pour être entendu” par d’autres. Les murs de la Großes Haus doivent faire corps avec son texte, la Volksbühne comme lieu à la résonance unique pour ses mots. Par-delà ou peut-être même à travers les bouffonneries accomplies sur scène, une certaine dimension mystique se laisse dès lors progressivement entrevoir.

Le second épisode consiste principalement en un long monologue de Wuttke sur la lutte des classes (“tout le monde sait ce qu’est un ouvrier. Mais deux ouvriers…?”, ou encore “das Kollektiv ist Scheiße” qu’il assène au public). On sent poindre la flamme de la révolte absolue contre Chris Dercon, le futur intendant du théâtre, venu entre autres du MoMa et de la Biennale de Venise, représentant par là d’un univers “jet-set” de l’art. Cet antagonisme culturel devient une lutte des classes internes au monde du théâtre : “Quand un prestataire de service a des notions de lutte des classes, il ne peut plus être nice“.

C’est à nouveau un effort métaphysique qui résoudra le conflit politique. Face à la mort certaine, de chacun comme de la Volksbühne, la “seule question est de savoir si on a fait du théâtre avec du goût” affirme Pollesch. Plus que la solution, la résolution est mystique et tourne autour du chiffre 3 dans cette oeuvre : le dieu chrétien dans sa Trinité est au cours de la pièce souvent évoqué, il y a bien sur 3 personnages et le sous-titre du second épisode affirme que ça ne commence seulement qu’avec trois (“es beginnt erst bei drei”). Les trois amigos sortent de scène en craignant que ce ne soit déjà la fin. Un troisième épisode est prévu pour le Printemps. Pour enfin tout (re)commencer ?

Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz, Lundi 28 Novembre 2016

Visuel : Trystan Pütter, Martin Wuttke , Milan Peschel; Probenfotos , Volksbühne am RLP, 10/2016, Regie Pollesch, Bühne Steiner, DISKURS

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