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“Vivipares (Posthume)” de Céline Champinot au Théâtre de la Bastille

“Vivipares (Posthume)” de Céline Champinot au Théâtre de la Bastille

10 October 2016 | PAR Simon Gerard

Du 5 au 19 octobre, le Théâtre de la Bastille propose une pièce énergique et décomplexée. Vivipares (Posthume) enchaîne tabous et situations fantasques à grande vitesse. La troupe, entièrement féminine, y change de genre avec une facilité et un plaisir déconcertants. On regrette cependant une situation initiale laissée un peu de côté au profit d’une histoire de l’humanité tellement touffue qu’on s’y perd parfois.

Nouvelle genèse, nouvelle jeunesse

Quoi de mieux qu’un garage pour créer, entre camarades, une nouvelle histoire de l’humanité ? Ce fourre-tout, où les objets qui ont trop vécu côtoient pêle-mêle ceux qui attendent d’être utilisés, ne constitue-t-il pas un non-lieu idéal pour accoucher d’une nouvelle mythologie ? Le garage, c’est ce lieu neutre où l’imagination peut se déchaîner, mais où les quelques objets au repos ou en veille, sous la poussière, nous rappellent indirectement notre réalité immédiate, passée et à venir. Les mondes que l’enfance y crée sont alors autant de miroirs grossissants de notre existence : ils révèlent notre cruauté, notre immoralité, nos craintes, nos sentiments, nos passions.

Vivipares, ce sont cinq jeunes filles qui racontent et jouent une histoire, leur histoire du monde, dans un garage semi-aménagé où le canapé-lit jouxte les produits ménagers rangés sur les étagères. Le désordre qui y règne procure une cachette à celui qui le souhaite. On est bien au théâtre : nul n’est à l’abri d’une entrée en fanfare ou d’une disparition soudaine. Les cinq jeunes femmes sur le plateau, et la metteuse en scène Céline Champinot incarnent à elles seules le dynamisme et l’énergie d’une génération d’acteurs, d’écrivains et de scénographes prête à faire du théâtre à partir de rien, ou plutôt à partir d’un pas-grand-chose fièrement exhibé sur scène – une sorte de nouveau théâtre pauvre.

La vétusté volontaire du décor est contrebalancée par la richesse exubérante et fantasque de l’histoire que la poignée de jeunes filles se raconte. Le spectateur se retrouve plongé dans une fiction où le romancier David Bowie est marié à Charles Bukowski, avec qui il a un « enfant raté » bien vite remplacé par un « enfant-acteur ». Aucun tabou n’échappe à cette fiction : avortement, changement de sexe, mort feinte, prostitution, tout y passe avec une légèreté et une nonchalance déroutantes. L’intérêt de cette intrigue surréaliste, s’achevant sur une montée des eaux apocalyptique, s’apparente à celui des rêves. En regardant des actrices jouer ces enfants-démiurges, on en sait sans doute un peu plus sur nous-même.

Une mise en abyme déséquilibrée

L’effet psychanalytique d’une histoire de l’humanité aussi débridée aurait été encore plus efficace si le premier degré de l’intrigue – celle des jeunes filles jouant dans le garage – avait un peu plus occupé le devant de la scène. Comment comprendre la fresque bigarrée qui nous est présentée si l’on ne sait quasiment rien de celles qui en sont à l’origine ? La faiblesse de Vivipares tient au déséquilibre de la mise en abyme qu’elle constitue : c’est dommage.

L’un des plus beaux moments de la pièce survient lorsque la réalité de ces jeunes filles se confronte avec la fiction qu’elles incarnent. Les filles incarnant le duo Bowie/Bukoswki décident de s’arracher de leur rôle pour partir, du fait, devine-t-on, d’un couvre-feu imposé par leurs parents. Les deux autres restent immobiles, silencieuses, dans l’obscurité : sont-elles encore dans leur rôle ? L’une fixe la télévision – et parfois le public – d’un air mélancolique : est-elle redevenue une jeune fille attristée par le départ brusque de ses amies, ou joue-t-elle encore le rôle d’une Judy Garland en quête désespérée de célébrité ? L’autre est allongée sur le ventre, à demi-nue, immobile : incarne-t-elle encore l’enfant raté et assassiné de Bowie et Bukowski, ou s’est-elle simplement endormie, satisfaite de sa prestation et assommée par le poids du monde qu’elle vient de créer ? La beauté de la scène réside dans cet exercice de funambule auquel s’adonnent les deux actrices : elles sont en équilibre sur le fil séparant deux mondes, deux dimensions. Jamais dans la pièce on ne les aura vues aussi sincères.

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