Théâtre
Vincent Macaigne, « En manque » : géants sur des épaules de nains

Vincent Macaigne, « En manque » : géants sur des épaules de nains

16 December 2017 | PAR Simon Gerard

Dans En manque, on retrouve avec joie la rayonnante énergie du désespoir que l’on pensait perdue dans les méandres mythologiques et politiquement fumeux de Je suis un pays, sa dernière création. Présentée par le Théâtre de la Ville à la Grande Halle de la Villette dans le cadre du Festival d’Automne, En manque est une nouvelle variation macaignienne sur les concepts de trace, d’héritage et de table rase. Contre l’infinie violence qui anime le mécanisme nihiliste en action sur le plateau, Vincent Macaigne préconise la mobilisation d’un amour infini dont chaque spectateur serait le rayon diffracté. C’est poétique, puissant et généreux.

Tabula rasa et caetera

Avec les mains de son esprit, Vincent Macaigne triture une idée phare qui diffuse, du fond de notre existence moderne, une intense lumière noire : la génération qui nous suit sera inévitablement amère. Amère de ne pas avoir vécu nos révolutions respectives. Amère ne pas avoir été à notre place pour faire ce que nous n’avons jamais eu le courage de faire. Amère d’être ce qu’elle est et de ne pas pouvoir être plus que cela. Macaigne touche à l’indépassable regret de tout un chacun, à la mort intérieure des générations déçues.

Partant d’une idée aussi forte, le contexte peut se permettre de n’être qu’un prétexte. Le projet utopique d’une fondation d’art sans œuvres, dans les bas-fonds duquel serait stocké tout l’art occidental, est une belle histoire sur laquelle il n’est pour autant pas nécessaire de s’attarder. Macaigne n’a pas besoin d’intégrer une intrigue subtile et élaborée au centre de ses pièces : les idées suffisent. C’est d’ailleurs précisément pour cette raison que Je suis un pays — sa dernière pièce, jouée récemment aux Amandiers et bientôt présentée à la Colline — est sa création la plus faible : les idées fortes s’y noient, plongées dans les eaux troubles d’une mythologie facile faite de rois immortels et de prophètes déchus.

Chez Macaigne, le spectateur est subjugué par l’incarnation des idées et par les images scéniques qui nous sautent au visage avec force et conviction. Une figure entièrement noire, casque de moto vissé sur la tête, dévaste calmement la scène à coups de masse. Les Caravage ne sont pas épargnés. La fumée envahit le plateau et la salle, et on ne peut qu’entendre les pas et les coups de cette force violente et brute, entièrement orientée vers la destruction d’un présent suranné à ses yeux. Systématiquement, le vieux doit mourir et le jeune doit lui survivre. Implicitement, bien sûr, un problème émerge : la table rase en appelle une autre. Le révolutionnaire des uns est le réactionnaire des autres. Macaigne, comme à son habitude, met en marche les rouages d’une machine nihiliste à priori inébranlable.

Macaigne à l’infini

Mais le metteur en scène ne se réclame pas de Sarah Kane pour rien. Dans toute oeuvre de Vincent Macaigne, l’amour demeure, tapi sous les hectolitres de boue ; il attend calmement que les murs et les têtes tombent pour émerger, infiniment puissant, face au règne éternel de l’infinie violence.

Cet amour porteur d’espoir, le public y participe doublement, à la fois en tant qu’acteur et récepteur. Au coeur d’En manque, entre deux révolutions, se niche une séquence de libération et de joie pure dans laquelle le public est invité à se lover. On y danse, on y boit. On s’y enlace au rythme de Tornerò des Santo California. On en profite. C’est le temps rêvé, l’année folle entre deux guerres, le but idéal vers lequel tend l’histoire du monde. Comme ultime preuve d’amour, d’espoir et de confiance, la table rase au carré mise en scène par Macaigne nous sera finalement offerte : tout s’achève sur des ruines silencieuses. À nous de tout reconstruire.

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Alexander Mora-Mir

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