Théâtre
Vania à table et bien vivant

Vania à table et bien vivant

26 September 2016 | PAR Christophe Candoni

C’est de part et d’autre d’une longue table en bois clair que la metteure en scène Julie Deliquet convie acteurs et spectateurs au Vieux-Colombier de la Comédie-Française pour une revisite contemporaine, pleine de vie et d’émotions, du Vania de Tchekhov.

Si Julie Deliquet fait une infidélité passagère à son collectif In vitro créé en 2009 pour travailler avec la prestigieuse troupe du Français, elle ne perd rien de ce qui fait la belle vitalité de son travail basé sur l’écriture collective et l’observation sensible du temps présent.

Dans son adaptation d’Oncle Vania, elle appréhende toutes les subtiles variations de la vie tchekhovienne, si lente et étale en apparence, son climat lourd et léger à la fois, empreint de nostalgie, de désenchantement, nourri de nombre de contrariétés sentimentales, de désirs ardents, de blessures anciennes, d’amertume grinçante. Isolés à la campagne, tous noient leurs remords, leurs regrets, leurs rancœurs dans la vodka, la conversation et l’inertie.

La salle du théâtre entièrement réaménagée et éclairée fait une maisonnée accueillante, chaleureuse, malgré quelques signes de rusticité. Le dispositif bi-frontal simple et efficace est une constante de la scène actuelle si l’on se remémore les dernières productions de Sylvain Creuzevault, des Chiens de Navarre, des Possédés et d’autres, mais il se prête formidablement bien aux discussions enflammées, aux règlements de compte explosifs, aux révélations intimes, au risque de voir chaises et vaisselles envoyées valser.

Ainsi, on entend admirablement bien Tchekhov dans cette nouvelle version enlevée, enjouée, enfiévrée de la pièce qui restitue une riche palette de sentiments avec un naturel et une vérité inouïs. Le neurasthénique et poignant Vania de Laurent Stocker, à vif, rappelle le frère que l’acteur jouait dans Juste la fin du monde de Lagarce (un de ses meilleurs rôles), capable d’une douceur poignante et d’accès de colère à faire peur. Ses rivaux sont campés par Hervé Pierre, génial en professeur hippie et gourmand, pédant admirateur du cinéma de Carl Theodor Dreyer, jouisseur satisfait, aux attitudes bonhommes et péremptoires d’un homme érudit qui se repose sur sa gloire passée, et par Stéphane Varupenne, à la séduction simple et nonchalante mais aux convictions bien déterminées. Tous trois aime la même femme, Elena, interprétée par Florence Viala, sublime, triste et gaie, toute pimpante et pleine d’abnégation. La Sonia d’Anna Cervinka est déchirante dans son mal être. Dominique blanc fait une douce et irrésistible aînée.

En montant aussi bien Brecht et Lagarce que ses propres textes, Julie Deliquet n’a de cesse d’interroger la transmission familiale et l’héritage intergénérationnel. Les utopies comme les désillusions de Tchekhov sont devenues les siennes et les nôtres. Il n’y a qu’à entendre le discours écologique proféré par le médecin pour s’en persuader. L’homme doté d’une capacité créatrice folle ne fait qu’enlaidir et détruire son environnement jusqu’à faire disparaître toutes traces de pureté prévenait le dramaturge visionnaire. Julie Deliquet s’est emparé d’Oncle Vania de Tchekhov avec évidence et nous le rend plus intime et familier que jamais.

“Vania” © Simon Gosselin collection Comédie-Française

Infos pratiques

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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