Théâtre
Un “Kiwi” à la langue savoureuse, adapté par deux manipulateurs de talent [Biennale des Arts de la Marionnette]

Un “Kiwi” à la langue savoureuse, adapté par deux manipulateurs de talent [Biennale des Arts de la Marionnette]

06 June 2017 | PAR Mathieu Dochtermann

La 9ème édition de la BIAM s’est achevée vendredi 2 juin, sur un représentation du Kiwi de Daniel Danis, adapté par le Théâtre de la Tortue Noire pour deux comédiens-manipulateurs. Le texte brûlant et poétique de l’auteur québecois gagne une dimension supplémentaire dans les bascules subtiles entre jeu des comédiens et manipulations, tandis que le décor se construit en direct à partir d’objets dont la valeur symbolique ne se révèle qu’au fil de l’eau. Original autant que virtuose.

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Dany Lefrançois et Sara Moisan ont créé leur adaptation de Kiwi il y a 10 ans déjà, à Saguenay, dans la Belle Province. Voisins, de ce fait, de Daniel Danis, ils avaient demandé à cet auteur peu ordinaire de leur accorder sa confiance pour adapter sa pièce, écrite pour des acteurs, au théâtre d’objets. De la langue magnifique et indomptée des personnages, de la situation dramatique qui aborde des sujets de société toujours actuels par un biais détourné mais viscéralement touchant, les co-fondateurs du Théâtre de la Tortue Noire ont tiré l’essence pour faire leur propre mise en musique, dans un univers réduit qui n’en est pas moins empli des échos de la fureur du monde.

Kiwi, c’est l’histoire de deux adolescents paumés, malmenés par la vie, des gamins des rues qui se trouvent et s’accrochent l’un à l’autre au milieu de la tourmente. Kiwi et Litchi, puisque tels sont les noms dont ils se sont baptisés pour signifier leur naissance à leur nouvelle vie, ce sont les porte-étendards de la jeunesse qui souffre et qui est laissée à l’abandon, de la pauvreté qui (sur)vit et se débat dans les interstices des mégapoles, du bétonnage triomphant, des victimes de l’ignominie ordinaire de ceux qui n’ont d’autre rapport au monde que celui de l’accaparation. Kiwi, c’est aussi une ode à la puissance du rêve, à la résilience de l’amour et de l’amitié, à la possibilité de reconstruire et de trouver du sens là même où les choses semblent devoir régner en maîtres. Un matériau violent et sans concessions, comme souvent chez Danis, qui n’hésite pas à mettre en scène drogue et prostitution juvénile, mais, comme d’habitude chez l’auteur, avec la lumière de l’espoir, toujours, comme un fanion. La poésie, lumineuse, est servie par une langue savoureuse, et s’incarne souvent des images fulgurantes, purement langagières, qui sollicitent l’imaginaire du spectateur (“Le ciel du printemps ! Kiwi, quand on voit ces canards blancs venus du Sud, on crie : Des oiseaux, des oiseaux ! La lumière ! La lumière !”).

L’adaptation ouvre des interprétations et découvre de nouveaux cheminements au sein du texte, en réincarnant les enjeux symboliques du récit. Les personnages sont figurés par des têtes de poupées, que les deux comédiens-manipulateurs tiennent ou enfilent au bout de leurs doigts. La fluidité de leurs mouvements, la distance qu’ils savent instaurer avec les figurines pour leur donner la place d’exister en tant que personnages, alors même que l’incarnation bascule sans cesse et revient périodiquement à un théâtre de comédiens, sont tout simplement étonnants. On sent qu’il y a là le fruit d’une longue maturation, sur les 10 années où les deux interprètes ont pu perfectionner leur approche du jeu et de la manipulation.

Ce jeu se déploie sur et autour de deux tables, couvertes d’objets qui, d’abord offerts comme un fatras foutraque de vide-grenier poussiéreux, s’avèrent être les accessoires astucieusement choisis d’une mise en scène qui recycle les symboles de la ville pour mieux la figurer. Un espace menaçant, où les choses semblent avoir dévoré l’espace que les êtres pourraient occuper, et où les humains même sont figurés par des jouets qui soulignent leur statut d’agents réifiés d’un système inhumain.

Le texte gagne ainsi une dimension supplémentaire dans l’ordre du symbolique, alors que sa toile de fond, celle de l’expropriation et du “nettoyage” des quartiers pauvres d’une ville à l’approche des Jeux Olympiques, ainsi que de la déréliction des jeunes abandonnés à la rue, n’a fait que gagner en universalité. Le texte a été écrit avec l’intention de la montrer à un public adolescent; l’âpreté du texte et la violence des thèmes abordés conduisent les interprètes à systématiquement proposer une discussion en bord de plateau à la fin de la représentation.

La Tortue Noire participe au très recommandable Pyka Puppet Estival à Paris et Fontenay-sous-Bois, avec deux représentations de Kiwi les 6 et 7 juin, et une représentation du Petit cercle de craie le 8. La compagnie sera présente au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes cet automne.

Texte : Daniel Danis (copyright L’Arche Éditeur)
Mise en scène : Guylaine Rivard
Manipulation et interprétation : Dany Lefrançois et Sara Moisan
Conception sonore : Michel Côté
Adaptation des éléments scéniques : Martin Gagnon
Conception des costumes : Sara Moisan
Conception des éclairages : Isabeau Côté
Visuels: (C) Patrick Simard

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