Théâtre
Un “Faiseur” inspiré et drôlatique

Un “Faiseur” inspiré et drôlatique

27 June 2016 | PAR Mathieu Dochtermann

A l’occasion de sa Grande Escale à la Cartoucherie, les Tréteaux de France, le CDN de Robin Renucci, présente sa version de la pièce Le Faiseur de Balzac. Interprétation et scénographie au summum de l’art dramatique, au service d’un texte drôle et intelligent sur la naissance du capitalisme financier: satyre élégante et comédie fine d’un monde qui a peu changé depuis le XIXème. A voir absolument!

Mercadet le faiseur, dans le théâtre de Balzac, est la seule pièce a avoir connu quelque postérité. Présentée désormais sous le titre Le Faiseur, elle met en scène sous forme de satyre grinçante les déboires de Mercadet, spéculateur filou ayant érigé l’improbité et le crédit en système, pris au piège de ses propres mensonges, jouant avec un argent qu’il n’a pas, réduit aux abois par la horde des créanciers lancée à ses trousses. Côté vaudeville, s’y ajoutent les amours de sa fille unique qu’il tente de marier à un beau parti, les intrigues de ses amis et de l’amant de sa femme, et la figure mystérieuse de Godeau, l’associé parti avec la caisse en abandonnant son fils naturel. C’est dire si le matériau est riche pour nourrir l’intrigue, et une comédie de mœurs dépeignant subtilement ce milieu du XIXème où la bourgeoisie financière commence à prendre subrepticement le pas sur l’économie réelle.

Le texte utilisé par les Tréteaux de France a été allégé par Evelyne Loew, qui a fait un travail remarquable pour resserrer l’intrigue et faire briller à la fois les traits d’esprit – le spectacle est très drôle – et la critique de ce moment matriciel de la mise en place du capitalisme financier moderne. Certaines répliques sonnent avec une modernité incroyable: “Aujourd’hui, (…) il n’y a plus que des intérêts, parce qu’il n’y a plus de famille, mais des individus !”, ou “Aujourd’hui, peut-être, vaut-il mieux avoir des capitaux. (…) [L]es capitaux nous suivent partout. La terre, au contraire, la terre paye pour tout le monde. Elle reste là, comme une sotte, à supporter les impôts, tandis que le capital s’esquive !”. La satyre politique et la dénonciation de la démagogie ne sont pas en reste: ” Je serai… socialiste… Le mot me plaît! A toutes les époques, mon cher, il y a des adjectifs qui sont le passe-partout des ambitions ! Avant 1789, on se disait économiste ; en 1815, on était libéral ; le parti de demain s’appellera social ! peut-être parce qu’il est insocial. Car en France, il faut toujours prendre l’envers du mot pour en trouver la vraie signification !”.

Au service de cette comédie acerbe, une galerie de beaux personnages, parfois un peu caricaturaux mais toujours hauts en couleurs. Les comédiens qui les incarnent sont globalement fabuleux, et la direction d’acteurs n’y est pas pour peu: elle puise à tous les genres théâtraux (mélodrame, commedia dell’arte, pantomime…) pour exagérer les traits distinctifs des personnages qui composent des tableaux vifs et extrêmement efficaces. Mention spéciale à Bruno Cadillon, qui campe un Mercadet extraordinaire, délicieusement cynique et totalement réjouissant – mais le reste de la troupe est à l’avenant, chacun et chacune au service de son rôle, du caricatural (pour les domestiques) au plus nuancé (Jeanne Brouaye pour Julie Mercadet ou Sylvain Méallet pour Adolphe Minard).

La mise en scène tire admirablement parti du dispositif des tréteaux, créant un espace central figurant le salon de Mercadet, mais laissant également un espace de jeu périphérique, sorte de coulisse ouverte où les comédiens qui ne sont pas en jeu composent un chœur dont les réactions viennent mettre en valeur la scène jouée. Les décors sont subtilement agencés, la mise en lumière est toute en nuances, et les costumes sont absolument somptueux. La scénographie et la mise en scène sont justes, jusqu’au final, ajouté à l’oeuvre originelle, qui vient clore sans fausse note, avec humour et énergie, deux heures d’un spectacle enlevé et réjouissant.

Une friandise à s’autoriser jusqu’au 2 juillet au Théâtre de l’Epée de bois, dans l’écrin de la Cartoucherie.

Mise en scène: Robin Renucci
Avec Judith d’Aleazzo*, Tariq Bettahar*, Jeanne Brouaye ou Marilyne Fontaine (en alternance), Bruno Cadillon, Daniel Carraz, Gérard Chabanier, Thomas Fitterer*, Sylvain Méallet*, Patrick Palmero* et Stéphanie Ruaux* (* Comédiens de la troupe des Tréteaux de France)
Scénographie et accessoires : Samuel Poncet
Costumes : Thierry Delettre
Lumières : Julie-Lola Lanteri-Cravet
Maquillage et Masques : Jean-Bernard Scotto
Assistants à la mise en scène : Joséphine Chaffin et Sylvain Méallet
Dramaturgie : Evelyne Loew
Regard amical: Christian Schiaretti
Une production Tréteaux de France, Centre dramatique national. Coproduction Théâtre Jacques Coeur à Lattes et l’Arc, scène nationale du Creusot.

Visuels: ®E. Facon

Infos pratiques

Association Arsène
Studio Théâtre (STS)
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One thought on “Un “Faiseur” inspiré et drôlatique”

Commentaire(s)

  • Fontaine

    Bonjour,

    C’est Marilyne Fontaine et non pas Jeanne Brouaye qui assure les représentations du Faiseur à la Cartoucherie.
    Merci pour la rectification.
    Cordialement.
    Marilyne Fontaine

    June 30, 2016 at 20 h 26 min

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