Théâtre
“Tumultes” révolutionnaires au Paris-Villette

“Tumultes” révolutionnaires au Paris-Villette

13 March 2017 | PAR Antoine Couder

Paniquée par l’état du monde, une jeune troupe décide de se mettre en grève et de lancer sa révolution. Quand l’éloquence et la rhétorique tournent à vide pour révéler l’ultime nécessité du théâtre. 

Copié-collé. Avez-vous consulté le tutoriel expliquant comment activer une révolution ? Marx, Engels et les autres, penseurs et révolutionnaires célèbres qui cherchent les clés de la lutte finale ? Les jeunes comédiens de cette compagnie née du côté de Montpellier (« Tire pas la nappe ») ont pensé pouvoir le faire, tous ensemble, dans un mouvement de liesse qui ferait copié-collé des grands moments de l’histoire des opprimés, ici pour l’essentiel, les grèves de 1936 et les avancées sociales du Front Populaire.
Sauf qu’on est en 2017 et tout finit forcément par dérailler façon « Retour vers le futur » avec Hollywood en moins. La rhétorique au débit automatique (futuriste, surréaliste) s’enraye presque systématiquement dans son actualisation. Soit que les personnages eux-mêmes ne suivent plus – ils réalisent en parlant qu’ils sont en train de dire un peu n’importe quoi ce qui neutralise leur spontanéisme révolutionnaire- soit que la réalité des relations qu’ils ont construites les entraînent loin du combat collectif (le désir, les parents, les itinéraires de vie). D’accord, c’est bien agréable de s’appeler « camarade » mais les mots –on le sent bien – sont vraiment trop usés.
L’armée des tricoteuses. Le moment d’entracte joué de telle façon que les acteurs retrouvent leur « vraie » vie constitue ainsi la grande réussite de la pièce en ce qu’il parvient à montrer crûment toute l’impossibilité d’un vrai faux théâtre de la vérité : l’alchimie du moi et du « nous » dont on cherchait la formule dans ce premier acte et qui finit par créer un pur effet comique faisant immédiatement préférer le théâtre à la révolution.
Seul fil rouge sérieusement politique, le rang presque militaire formé par les « tricoteuses », avorteuses ambiguës, qui secourent autant qu’elles semblent vouloir manipuler les victimes d’un monde sans égard pour le droit des femmes. Entre le fantasme d’une armée secrète et obéissante et une médicalisation de la vie amoureuse apparaît dans ces « tumultes » un hors-champ de la libération politique qui semble aujourd’hui autant d’actualité qu’en 1936.
Déclaration d’amour. La pièce tient ainsi son pari d’interroger ce qui est possible dans un désir de révolution. Il y a certes de petites longueurs et quelques flottements du côté des acteurs mais globalement, pas de sortie de route durant la centaine de minutes que durent ces « tumultes ». En suivant l’inspiration d’un théâtre débridé, convaincu de trouver dans une description réaliste de la jeunesse la matière à ses rebondissements, les deux Marions (Aubert pour le texte, Guerrero pour la mise en scène) électrisent en effet d’une touchante sincérité cette brève épopée révolutionnaire qui est aussi une déclaration d’amour à la vie de troupe.
Antoine Couder

(« Tumultes », de Marion Aubert. Théâtre Paris Villette – le 14 et 15 mars. Théâtre Dijon Bourgogne CDN du 4 au 7 avril – Bonlieu scène nationale d’Annecy le 11 et le 12 avril)

Visuel : Sonia Barcet

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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