Théâtre
“Nathan?!” de Nicolas Stemann au TNS : la tolérance des Lumières frappée par le 13 novembre

“Nathan?!” de Nicolas Stemann au TNS : la tolérance des Lumières frappée par le 13 novembre

23 November 2017 | PAR Sophie Allemand

En 1779, l’allemand Gotthold Ephraim Lessing écrivait Nathan le Sage, une ode à la tolérance religieuse. Nicolas Stemann fait revenir Nathan sur scène et le mêle au texte contemporain Crassier/Bataclan de l’autrichienne Elfriede Jelinek. Le 13 novembre 2017 au TNS, alors qu’hommages et questionnements fusent en France … Cette version  résonne particulièrement.

Nicolas Stemann reprend Nathan le Sage de Lessing (1729-1781), récit marquant de la philosophie des Lumières allemande. Il le fait s’entrechoquer contre le terrorisme d’aujourd’hui. En 2017, année frappée par l’intolérance, comment résonne la tolérance idéalisée du siècle des Lumières ?

Le 13 novembre 2015 … D’abord Saint-Denis, aux abords du Stade de France, puis les 10ème et 11ème arrondissements de Paris, le Bataclan où 1500 personnes sont venues voir le groupe de rock Eagles of Death Metal. Ces événements, vous les connaissez : la France meurtrie, les concepts de démocratie et de République bousculés. Par l’écriture actuelle de Jelinek, Nicolas Stemann questionne ces principes nés de la Révolution idéologique, portée par les philosophes européens quelques siècles plus tôt.

Nathan le Sage se joue en cinq actes. En 1147 à Jérusalem, c’est le temps des croisades : les Templiers chrétiens ont envahi la Palestine et tuent au nom de leur Dieu. Le Sultan Saladin vient de reprendre la ville aux croisés et mène les musulmans. Il protège aussi les juifs, persécutés par les Templiers, comme Nathan.

Nathan le Sage : un conte naïf sur la tolérance religieuse …

L’acte I prend place dans un décor religieux : cinq micro,  cinq pupitres, les acteurs forment un chœur de choral. Les comédiens rappellent ensuite le contexte en s’adressant directement au public : cette pièce est très connue en Allemagne, beaucoup moins en France. Ils ne se laissent pas parler, car chacun y voit la défense de sa propre cause : celle des juifs, des musulmans, des femmes ou jeunes. Les templiers en fait, “ce sont les djihadistes de l’époque”, explique le Nathan moderne.

“Les templiers, ce sont les djihadistes de l’époque”

Le récit de Lessing fait tomber les étiquettes l’on affilie aux religions, pour lutter contre les préjugés. Les personnages juifs, musulmans et chrétiens répètent : “nous devons devons être amis”. À la fin du IVème acte, la scène se noie dans les nouvelles technologies, le chaos du feu qui prend la maison de Nathan est remplacé par celui de la fête et des armes. Le rideau blanc se baisse, la pièce contemporaine est lancée : Crassier/Bataclan de Jelinek commence. “Nous devons devons être amis” devient “nous devons devons être Charlie”. Au XXIème siècle, la tolérance est une obligation.

… s’entrechoque contre le contexte actuel

Les personnages se transforment en fêtards, certains enfilent des masques : posters de Merkel, Macron ou Trump, souriants. Le masque sert de bouclier face aux insultes, ils le retournent pour se protéger et l’autre face affiche Nous devons, devons être Charlie”.

Danse, vidéos, sons, perches à selfie et costumes sont déballés. Les symboles du terrorisme actuel sont là. Vêtus en djihadistes, certains quittent la scène et sortent. Des images filmées sur leur téléphone restent projetées dans la salle. On les voit tirer dans l’enceinte du théâtre où des gens tombent à terre. Les clins d’œuil sinistres s’enchaînent : une jeune femme dans un chariot de supermarché sous une couverture de survie, un mini-camion qui roule sur des poupées … Reproductions des attaques de l’Hyper Casher de la Porte de Vincennes, du 14 juillet 2016 à Nice, de Charlie Hebdo et de l’État d’urgence.

Les djihadistes reviennent dans la salle et braquent leur smartphone sur le public, comme une arme. Effrayants. Voilà, l’histoire des guerres de religion, des templiers, des djihadistes … L’histoire tourne en boucle. 130 morts ! Le chiffre est répété dans un flot de paroles imperceptibles. Gorge nouée, yeux humides et rires : en plein 13 novembre, la scène déclenche malaise et émotion.

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Visuel : (C) Samuel Rubio

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