Théâtre
Sopro, l’âme de Tiago Rodrigues souffle sur le Festival d’Avignon

Sopro, l’âme de Tiago Rodrigues souffle sur le Festival d’Avignon

08 July 2017 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Tiago Rodrigues nous offre Sopro, une expérience qui vient révéler l’invisible : la présence d’une souffleuse, celle du Teatro Nacional D. Maria II à Lisbonne qu’il dirige depuis trois ans. Une merveille qui prouve une fois de plus à quel point ce metteur en scène est juste. Sopro semble être fait pour le Cloître des Carmes et permet au festival de s’interroger sur les liens entre le personnage et l’acteur.

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Tiago Rodrigues est pour la deuxième fois invité par le Festival d’Avignon. En 2015, c’était pour le sexy Antoine et Cléopâtre. Dans un genre très différent, Sopro démontre, une nouvelle fois, sa finesse et sa justesse en apparaissant comme la fin d’un triptyque composé de By Heart et d’Occupation Bastille. By Heart cultivait l’idée qu’en cas d’exil, il fallait apprendre un livre par cœur. Et Occupation Bastille se passait le 6 juin 2036. Six comédiens, six occupants, six résistants sont encore là, alors que les néons du Théâtre de la Bastille s’effacent peu à peu.

Pourquoi Tiago Rodrigues est-il si fasciné par les traces ? Nous n’avons pas la réponse à cette question qui est au centre de Sopro. Sopro veut dire souffle en portugais et nous “raconte” l’histoire de Cristina Vidal, la souffleuse de son théâtre. Ce métier est en train de s’éteindre et la mort et la disparition sont deux ennemis que Rodrigues veut abattre. Alors pour le rendre éternel, il a fait une pièce. Elle se situe dans le futur, le théâtre est en ruine, la végétation envahit le vieux parquet défoncé. Cristina Vidal ère, en noir, comme un fantôme massif, un texte à la main. Elle murmure.

Le souffleur c’est celui qu’on ne voit jamais et qui lit “la phrase qui suit celle que l’acteur est en train de dire”. Se montrer vraiment, elle ne voulait pas. Elle n’est pas que le souffle, elle respire comme les comédiens qu’elle double. Alors, l’idée dingue de Tiago Rodrigues est à la fois de lui faire souffler tout le spectacle en passant derrière les comédiens mais aussi de souffler à celles qui jouent son rôle dans une mise en abyme jubilatoire.

On retrouve avec joie la belle troupe de Tiago devant la souffleuse :  Isabel Abreu, Beatriz Brás, Sofia Dias, Vitor Roriz et João Pedro Vaz. Alors que veut nous dire celle qui a commencé ce métier dans ce lieu en 1978 ? Et bien, que le souffleur sait tout : la maladie comme le bonheur, et parfois, qu’il sait les textes par cœur au point de devenir spectateur.

Sopro est une fiction qui rassemble plusieurs souvenirs recueillis au sein du Théâtre National. On croise un nombre fou d’histoires ici. Celle des pièces jouées : Bérénice, Antigone, L’Avare..., celles des comédiens, et celles de la souffleuse. Les temps de répétition et les temps de représentation se mêlent sur cet étrange plateau reconstitué à partir de l’ancien plancher du théâtre. Les ouvertures entre les arcs du Cloître des Carmes sont cachées par des rideaux, ce qui donne au lieu à un aspect de ruine parfait.

Sopro est une déclaration d’amour passionnée au Théâtre qui transperce d’émotion tant les regards sont sincères et le jeu, si compliqué, parfaitement mené. Ce ne sont pas ici des personnages en quête d’auteur mais des comédiens qui chutent. La souffleuse est un pansement préventif qui empêche l’accident, mais elle est faillible. Dans un jeu du cirque basique et efficace, on rit aux éclats quand le fameux accident arrive. Quand João Pedro Vaz campe un Harpagon ayant une interprétation plus que libre du texte, le ressort comique de la bourde éclate.

En offrant son plateau au point de vue de la souffleuse sur son théâtre, il permet de faire jouer l’archive du lieu dont il est le locataire. La pièce insiste sur la précédente directrice, morte d’un cancer. Et même quand il s’agit de camper les vrais protagonistes, les acteurs jouent en se faisant souffler. C’est là que le procédé est fort. Il nous faisait rire, et par un tour de changement de point de vue, il fait monter les larmes jusqu’au bord des yeux, tout comme la souffleuse, enfant, regardait les spectacles cachée dans le trou du souffleur, les mains posées à plat sur le rebord du plateau.

Sopro est un immense coup de cœur, un spectacle parfait de bout en bout,  qui sait faire danser la mélancolie avec l’humour, la joie avec le jeu, sur un air fredonné de “Wild Is The Wind “de Nina Simone 

Tiago Rodrigues fait souffler l’émotion sans effusion, la beauté sans facilité. Le gagnant ici est le théâtre, dans une forme minimale qui sublime cette petite dame tout en noir qui n’avait aucune envie de monter sur scène. Mais qui peut dire non à Tiago ? Personne.

SOUFFLE – TIAGO RODRIGUES – (c) Jose Marques
SOPRO
Tiago Rodrigues
CLOÎTRE DES CARMES
Durée : 1h45 estimée
Du 7 au 16 à 22H00

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