Théâtre
Simon Stone monte Thyestes au présent

Simon Stone monte Thyestes au présent

25 March 2015 | PAR Christophe Candoni

En adaptant très librement Thyeste de Sénèque, Simon Stone que l’on découvre en France livre une version sidérante de la tragédie antique qu’il rend terriblement actuelle et familière.

Né en Suisse, le jeune auteur et metteur en scène australien Simon Stone fait sa première apparition en France aux Amandiers de Nanterre. Sa découverte est capitale et stimulante comme rarement tant elle paraît une leçon de mise en scène pour le très sage théâtre français, toujours tellement inhibé dans sa pratique du répertoire. Tout juste trentenaire, Simon Stone a déjà monté et bousculé bon nombre de classiques d’Ibsen, Brecht ou Tchekhov. Il a créé en octobre 2010 à Melbourne ce Thyestes d’après Sénèque qui depuis tourne et fait sensation en Australie et sur les scènes européennes. Plus récemment Simon Stone s’est emparé d’autres mythes antiques : il a donné cette saison Médée à Amsterdam où il confiait le rôle-titre à la merveilleuse Marieke Heebink, actrice phare du Toneelgroep et a monté une Orestie à Oberhausen en Allemagne. A chaque fois, ses revisites détonantes, radicalement contemporaines et concernantes de textes fondateurs ont donné lieu à des représentations chocs, sensuelles et brutales, chargées d’images et d’émotions fortes.

En T-shirt, jean skinny et sweat à capuche, accrochés à leur Smartphone et ponctuant leurs répliques d’intempestifs « fucking… », les personnages mythiques adoptent l’allure et la langue des jeunes gens d’aujourd’hui mis en scène dans des situations quotidiennes telles qu’une soirée entre potes autour d’une bouteille de vin rouge ou une partie de ping-pong qui passeraient pour anecdotiques si derrière leur aspect faussement décontracté ne s’entrevoyait pas la sourde menace d’une monstruosité latente.

Ainsi, les deux frères ennemis que sont Thyeste (Thomas Henning) et Atrée (Mark Winter), dont le second, par vengeance et ultime perfidie, abat et sert à manger ses enfants en souper au premier, pourraient aussi bien être nos semblables, amis, voisins ou amants. Un troisième acteur, Chris Ryan, joue tous les autres rôles de la pièce, y compris féminins. Cette transgression sexuelle renforce l’ambigüité sulfureuse de l’interprétation proposée de la névrose d’Atrée, à savoir son homosexualité refoulée. Leurs histoires archaïques flirtent soudain avec le monde d’une Sarah Kane ou d’un Mark Ravenhill. Elles sont évidemment les nôtres. Cette proximité spatio-temporelle se trouve matérialisée par la scénographie qui place les spectateurs dans un rapport voyeur de part et d’autre d’une très étroite boîte blanche et cloisonnée dans laquelle jouent les acteurs. A même pas quelques mètres de distance avec la salle, ils sont simplement époustouflants dans des rapports inouïs d’attraction et de destruction de l’Autre.

Douze scènes retracent dans ses grandes lignes l’intrigue de la tragédie à laquelle sont ajoutées quelques extrapolations. Nourri de trivialité, de perversité, de suspense, de scandale, le théâtre obscène et viscéral de Simon Stone est assurément captivant et perturbant. Il se fait impitoyable dans sa manière d’analyser voire disséquer les relations humaines et d’en amplifier la violence et les passions. Il va très loin dans leur représentation sans pour autant choisir de tout donner à voir. Ultrasensible et hypertrophié, c’est cela le style, le geste de ce jeune et électrisant metteur en scène qui n’a pas froid aux yeux.

Thyestes © Jeff Busby

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