Théâtre
Rencontre avec Vincent Macaigne “Il faut accepter que le théâtre meurt”

Rencontre avec Vincent Macaigne “Il faut accepter que le théâtre meurt”

20 July 2011 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Pendant dix jours Vincent Macaigne a présenté Au moins j’aurai laissé un beau cadavre au cloître des Carmes. Avant une tournée qui passera par le Théâtre National de Chaillot du 2 au 11 novembre, nous l’avons rencontré au café d’Utopia pour parler théâtre au pied du Palais des Papes.

Qu’est ce qui vous a amené à monter Hamlet ? Vous dites vous être inspiré de la véritable histoire d’Hamlet, un prince Danois qui vivait au IIe siècle dont on trouve mention au XIIIe siècle ? Connaissiez vous le texte médiéval ?

Je connaissais forcément le texte de Shakespeare en premier. Ce texte du XIIIe siècle est une vraie pièce dont Shakespeare s’est inspiré pour son Hamlet. Shakespeare s’inspirait de textes déjà existants. Il y avait déjà une pièce d’Hamlet avant sa version.

Quand j’ai remonté Réquiem III aux Bouffes du Nord , je l’ai fait pour travailler sur Hamlet. Au départ, je voulais faire un dytique où j’appellerais l’enfant Hamlet pour faire une sorte d’histoire du mal, de la souillure. Et lorsque je travaillais sur Requiem III, un comédien m’a amené le texte originel du XIIIe siècle. Entre temps j’ai monté l’Idiot, entre autres. Comment l’impureté peut se visser sur quelque chose de faux, c’est une question permanente pour moi. J’ai commencé à travailler en imaginant que Hamlet serait la suite du personnage du prince Mychkine. J’aimais bien l’idée d’avoir cette suite là avec cet enfant là, avec son père Claudius qui n’est pas vraiment son père et qui se salit les mains.
J’ai commencé à beaucoup réécrire. J’ai gardé beaucoup de choses de Shakespeare et dans le travail. Je cherche les meilleures façons de raconter la pièce.
Que faites vous des reproches vous accusant de vous être détaché du Hamlet de Shakespeare ?

Cela m’énerve quand on m’attaque, des gens viennent me voir en me disant « vous avez trahi Hamlet ». Si j’avais voulu faire un Hamlet, je l’aurais appeler Hamlet. Mon spectacle se nomme « Au moins j’aurai laissé un beau cadavre ». Je n’aime pas cette méprise qui se protège d’une parole plus directe. Je n’ai pas voulu moderniser Hamlet, je veux juste parler aux gens. Je n’ai pas l’impression de faire du théâtre moderne, je fais du théâtre c’est tout, c’est comme les costumes, cela ne m’intéresse pas au sens propre.

Comment vous est venue l’idée du chauffeur de salle ?

J’aime bien qu’il y ait une vie au spectacle. J’aime l’idée de mettre le public dans une situation. J’ai besoin de laver les pensées des gens sur le théâtre.

En vous regardant, on a l’impression que vous avez intégré, digéré à merveille l’œuvre des grands performeurs, tels Jan Fabre ou Castellucci, est -ce qu’ils sont des références pour vous ?

Ce sont des gens que je trouve forts, je connais mieux Castellucci dont j’avais beaucoup aimé « Génésis ». J’aime sa pensée, mais l’utilisation du sang n’a pas de rapport avec eux, c’est une question personnelle.

En vous posant cette question, je veux vous amener aussi sur la présence d’un décor extrêmement plastique, quasiment une œuvre en soi.

Je commence à travailler en pré-répétition avec les comédiens, ensuite j’ai des idées qui me viennent et aussi par rapport à des problèmes techniques. C’est aussi pour ça que j’avais remonté Requieum III parce que j’avais l’idée de construire une boite en verre insonorisée qui serait un théâtre de 100 places, posée sur scène. Pendant le spectacle, je ferai rentrer un public qui viendrait voir Hamlet dans cette cage. Le comédien sortirait de ce spectacle pour aller jouer avec Gertrude devant le public classique en tant que comédien, dans des sortes de coulisses. Au moment de la mort de Polonius, le décor explosait à l’image du monde, cela aurait coïncidé avec l’entracte du grand public, le petit public aurait alors vu 1000 personnes se lever au moment de l’indignation sans tout comprendre. Mais le budget était fou, 700.000 euros et le montage trop long. Alors, au lieu d’une cage, j’ai fait un château gonflable !

Alors, le château, c’est une réponse technique !

Oui ! J’étais au bord de la plage, il y avait une jeune fille en train de gonfler toute seule un énorme château gonflable, j’ai chipé l’idée.

Quelle est la part d’improvisation dans votre spectacle ?

Les comédiens improvisent et je garde les bonnes choses. Ensuite je dirige, par exemple, dans le rôle de Gertrude, je m’inspire un peu de ma mère. Alors, mes personnages crient, c’est structurel pour moi, j’ai été élevé là-dedans, je viens d’une famille iranienne, on a le sang chaud. Le sujet de pièce appelle le cri. Des gens à un point tel de tension ne peuvent pas être calmes. Le cri ce n’est pas une posture. Je me bat pour que mes comédiens comprennent ce cri.
Comment gérez-vous ce cri ?
C’est le sens, il faut qu’un comédien soit persuadé que c’est à cet endroit là qu’il doit jouer. S’il ne fait que crier sans intention, cela sonne faux. J’ai un rapport au cri plus compliqué, ce n’est pas du cri, c’est une pensée très forte. Les comédiens le savent, ils le portent. Tous les jours on retravaille cela. On répète avant le spectacle tous les après-midi. Cela est fatiguant. Il faut donner de son cerveau ! C’est comme faire une manifestation tous les jours.

Nous sommes à Avignon, Jean Vilar est mort il y a 40 ans, c’est qui pour vous ?

Jean Vilar c’est un symbole, je n’ai pas l’impression d’être loin du Théâtre Populaire. Par contre je n’aime pas l’idée de prendre le relais. Le théâtre c’est quelque chose de vivant et qui meurt. Le théâtre n’a pas de valeur dans le temps, c’est fatiguant parfois, j’aimerai bien me mettre à faire des expos ! Ce n’est pas un bon trajet pour faire de l’art de se remettre dans une histoire d’un homme passé. Il faut accepter que le théâtre meurt, c’est comme la mode, ce n’est qu’un temps, cela ne revient pas vraiment. Je n’aime pas l’idée de m’inscrire dans une histoire, ce que j’ai fait avant n’existe plus et mon spectacle meurt tous les soirs. Un des grands problèmes du théâtre ce sont ces artistes qui mettent leur vie dans une trajectoire, une carrière, c’est à l’inverse de ce qu’on doit faire, on doit renouveler un chemin à chaque fois. On ne peut pas re-regarder une pièce.

En regardant le spectacle et regardant le décor être cassé, les comédiens se jeter dans la boue, je me suis demandée quels étaient vos jeux d’enfants ?

Je ne sais pas du tout ! Je jouais aux Légos je crois, je ne peux pas répondre ! En revanche, il y a une forme de naïveté dans le fait de faire du théâtre, cela se place dans la continuité de l’enfance. On fait du théâtre une matière culturelle mais c’est pas pour ça qu’on le fait. Je regardais les reportages de Jean Rouch sur l’Afrique, je me suis dit que si les hommes qu’il filment venaient voir un spectacle comme Cesena, ils verraient des gens bien habillés à 4h30 et des danseurs qui chantent au petit matin avec des voix étranges, c’est mystérieux, c’est au delà de la culture. C’est étrange. L’idée même de réunir un public n’est pas si normale, il y a de la folie là dedans.

Vous avez des spectacles à nous conseiller ?

Je n’ai rien vu encore !! Dans deux-trois jours j’aurai le temps !

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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