Théâtre
Rencontre avec Fabrice Murgia, l’exigence de la technique

Rencontre avec Fabrice Murgia, l’exigence de la technique

30 October 2012 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Quand Fabrice Murgia a fait son premier spectacle, en 2009, Toutelaculture publiait son premier article. Depuis, on se suit et on s’aime beaucoup. Il était quand même temps que l’on pose quelques questions à l’un des metteurs en scène les plus en vue de sa génération. Discussion avec un vorace de travail, amateur de grand café noir, une spécialité Belge à importer en France, comme son théâtre.

Quand on regarde ce que vous faites on a l’impression d’un metteur en scène qui « envoie” !

Oui, je fais deux spectacles par an et un Workshop. La compagnie est née en 2009, le premier spectacle était Le Chagrin des Ogres en 2009, ça a vraiment démarré en 2010  depuis j’ai fait six spectacles, en deux ans et demi.

Comment  faites-vous pour créer autant ?

D’abord j’ai beaucoup de choses, ça à dire, cela va s’amoindrir nécessairement. Ou alors il faut changer de sujet. J’ai aussi la possibilité de travailler de façon différente.  Donc la façon dont on raconte est différente. J’ai fait Le Chagrin des Ogres dans un garage, Exils dans des conditions optimales. Inévitablement, ces modes de production qui changent me font me renouveler, dans mon discours aussi. Je vieillis !

Et pourtant, vous n’avez pas 30 ans. Tous les journalistes le pointent. Pourtant vous n’êtes pas un ovni, comment expliquez-vous que cela revienne toujours ?

C’est aussi parce que c’est un âge où ça change vite Je ne cherche pas à faire de grands sujets, je suis dans l’instantané. Je ne suis pas dans la démarche de travailler trois ans un sujet. Je fais des choses intuitives.

Pourtant, quand on regarde vos spectacles on n’a pas cette sensation.

On travaille plus avec des techniciens qu’avec des acteurs. On travaille avec des régisseurs et cela est très pensé. On pense aussi à des anciennes méthodes. Une tournette cela existe depuis 500 ans mais si on l’associe à de la vidéo, qu’est-ce que cela donne ?  Pour LIFE : RESET on avait l’impression d’une technicité folle alors que l’illusion reposait sur des caisses poussées par des hommes. C’était un vieux “truc”.

L’illusion était totale, on se demandait vraiment comment vous pouviez démonter chaque jour (spectacle monté au OFF d’Avignon)

Oui c’est un peu l’idée de faire évoluer les vieilles techniques. On n’invente rien. Je n’ai pas l’impression d’amener quelque chose de nouveau ni d’être dans un théâtre anti vieux.  Après cela, ça ne m’embête pas que l’on dise que j’ai moins de trente ans, c’est vrai, encore un petit peu ! J’ai surtout la chance de pouvoir réinventer, un jour ça n’arrivera plus.

Mais pourtant, il y a une évolution dans les spectacles, dans Les Enfants de Jéhovah vous vous livrez beaucoup plus.

Oui, j’ai travaillé avec mon frère sur l’histoire de mon père, on a recueilli des témoignages. La vidéo qui arrive à la fin du spectacle on l’a intégrée en tournée. On va le jouer à Bruxelles, là-bas c’est extrêmement violent, on ne donnera pas d’interview. Il y a un effet cathartique dans ce spectacle.

Comment arrivez-vous  à être tant productif sans perdre en précision ?

C’est mon exigence de la technique. Je suis amoureux de la technique, j’essaie d’avoir cette exigence où rien ne doit dépasser. Cette exigence amène quelque chose de l’ordre du choix qui doit faire dire au spectateur : “il a voulu que cela soit comme ça”.

Et en même temps vous laissez une place folle à l’imaginaire.

Oui, et cela est lié à la précision qui permet une ouverture sur le récit. C’est pour ça que dans Les Enfants de Jéhovah,  j’interviens en vidéo. Il y a cette idée de fracasser le spectateur contre le réel, mais j’espère qu’il y a autant d’histoires que de personnes.

Comment se passent les rencontres avec le public ?

Souvent les adultes prennent mal notre travail et les adolescents saisissent mieux. Il y a des moments de rébellion dans les classes !

Les rencontres me nourrissent, elles me permettent de faire avancer les spectacles. Si je n’avais pas fait de rencontre pour Le chagrin des Ogres je n’aurais pas fait LIFE : RESET. Pour moi, c’est toujours le même spectacle sur la solitude. Puis, je voyage et j’en ramène des histoires qui deviennent théâtre. Je suis parfois énervé mais je ne suis pas fatigué.

Comment se passent les voyages ?

J’ai la chance de pouvoir partir car des théâtres de poids nous accompagnent. C’est un luxe, nous sommes accompagnés à l’aveugle.

Est-ce que vous avez la sensation de devenir people ?

Oui, et cela me plait car cela permet d’avoir un public. Cela est attrayant et bénéfique pour la compagnie. Etre un peu people cela permet d’être vu. Je veux parler aux gens. Je ne veux pas d’une salle vide ou une salle de professionnels. Mais ce sont les directeurs de théâtre qui sont les people, pas les artistes.

C’est vrai que vous jouez en périphérie du subventionné.

On est encore petit. On est pas frustrés car on a commencé il n’y a pas longtemps. Pour nous c’est essentiel de jouer dans des lieux qui comptent car la compagnie n’est pas encore subventionnée.

Donc, la production est viscérale : si vous ne jouez pas, vous ne mangez pas.

C’est vrai mais c’est en train de changer. On commence à refuser des projets quand ils ne nous (ndlr la compagnie)  correspondent pas. Cela ne braque pas, au contraire.

Vous revenez des Etats-Unis où vous avez créé, Ghost Road, un théâtre très documentaire

On a fait un voyage dans les villes fantômes avec Dominique Pauwels,Viviane De Muynck,Jacqueline Van Quaille. On est parti avec Benoit Dervaux aussi qui est un réalisateur de documentaires très connu en Belgique.

On est parti en Arizona, en Californie…J’ai filmé des interviews de gens habitant ces déserts, qui ont choisi de quitter la ville. Là encore je parle de solitude mais cette fois dans le monde réel.  Sur scène, la vidéo a un rôle très documentaire.

Il y a autre chose, je suis très content d’avoir fait un spectacle  à partir d’un voyage. J’ai pu dire ce que j’avais envie de dire.

 

Visuel : crédit photo : Jean-François Ravagnan

 

 

 

 

 

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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