Théâtre
Le procès ou l’allégorie messianique de Krystian Lupa au Festival d’Automne

Le procès ou l’allégorie messianique de Krystian Lupa au Festival d’Automne

21 September 2018 | PAR Amelie Blaustein Niddam

L’immense Krystian Lupa s’attaque au chef-d’oeuvre posthume de Franz Kafka dans une pièce fleuve  qui épuise par trop de contrition. 

Cinq heures donc, en polonais mal traduit et mal surtitré dans la belle salle de L’Odéon. On s’interroge sur ce fait étrange qui voit les spectacles en langues étrangères être malmenés quand Patrice Chereau il y a déjà longtemps ou Julien Gosselin en ce moment savait et sait inscrire du texte dans le décor. Disons qu’il y aura de la souffrance ici et elle commence par la difficulté à recevoir ce texte dément. Le metteur en scène polonais, fou de Thomas Bernhard a bien failli jeter l’éponge.  La situation politique en Pologne  est un cataclysme, l’extrême droite mène un bal aussi absurde que monstrueux et la vie culturelle est dévastée. La pièce devait durer 9 heures, puis ne devait plus être. Lupa l’avoue dès la première ligne de l’interview qu’il accorde à Jean-Pierre Thibaudat pour le Festival d’Automne à Paris : “J’avais peur”.

Dans la structure, quasiment respectée chapitre par chapitre du roman, le décor est comme toujours chez Lupa magnifique et uniquement composé de projections qui changent l’aspect des murs et de quelques meubles. On le verra rapidement, le travail vidéo de Bartosz Nalazek est flamboyant ici dans des mélanges de couleur, d’échelle et de superposition. C’est simple, les premières trois heures trente de la pièce sont une montée en puissance comme seul Lupa sait les faire, dans un temps lent, ultra-réel qui se confronte à une fiction intemporelle.  On suit donc l’histoire “dont vous connaissez la suite” ( diront  bien plus tard les comédiens). K (Andrzej Klak) est accusé et il ne sait pas de quoi. Au fur et à mesure que les jours passent il devient convaincu de sa culpabilité et cherche à se faire acquitter sans espoir.  Lupa malaxe à merveille la folie et le surréalisme notamment dans une très longue et efficace scène de dortoir où tout le monde de Kafka : son ami Max Brod qui a réuni les textes du procès (Adam Szczyszczaj)  et son ex-fiancée (Marta Zieba), entre autres, se racontent leurs rêves, autant d’allégories du “monde qui marche sur la tête”.  Visuellement, c’est une bombe, la lumière et le déplacement des corps au plateau donnent au Procès sa dose d’enfermement nécessaire. “La spécificité de tribunal est de condamner des innocents qui ne connaissent rien de la loi”

Mais Lupa s’effondre dans la dernière partie qui concentre en une heure infinie les chapitres VI à IX du roman, et particulièrement dans la scène de la Cathédrale où la fusion entre Josef K et Jésus-Christ manque de subtilité.  Lupa est pris dans le syndrome de son élève Warlikowski. Il provoque le prêche et amalgame à demi-mots la Shoah et la souffrance polonaise.  Plus tôt on entend “Il est grand temps que ce pays se fasse soigner”  et on ne peut que saluer l’affreuse corrélation entre le texte de Kafka publié alors que le nazisme se constituait, en 25 et la situation actuelle, où le pays est verrouillé et muselé par le PiS. Désormais c’est nous qui souffrons embourbés dans cette longue fin qui s’arrête à tort avant la “vraie” fin du roman. Nous restons alors essorés, après un discours eschatologique sans espoir qui décale le propos politique de Kafka en dogme catholique.

Visuels ©Magda Hueckel

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