Théâtre
“On a fait tout ce qu’on a pu mais tout s’est passé comme d’habitude” au Théâtre 13

“On a fait tout ce qu’on a pu mais tout s’est passé comme d’habitude” au Théâtre 13

04 April 2013 | PAR Camille Hispard

Une épopée scénique contée par un Philippe Fenwick touchant et vibrant qui nous plonge de Brest à Vladivostok dans les affres de la création d’un projet théâtral. L’envers d’un rêve qui devient une obsession.

Philippe Fenwick portait en lui ce rêve fou d’accomplir la plus grande tournée itinérante du monde avec son spectacle Atavisme, emmenant sa troupe de Brest à Vladivostok. 1300 jours,15 000 km en train, dont 9 000 km en Transsibérien : une traversée de l’Eurasie pour atteindre les profondes terres russes.  Fenwick et ses sept comédiens, décor sur les genoux et rêves de partage sous le bras partent le 18 mars 2012 jouer leur spectacle, clamer leur amour du théâtre vivant qui mélange ici les arts du cirque aux performances théâtrales. Équilibriste  sur un fil, Philippe Fenwick avait ce rêve bien ancré dans sa tête comme une douce obsession grandissante.

On a fait tout ce qu’on a pu mais tout s’est passé comme d’habitude raconte tout ce qu’il y a derrière la passion artistique, la façon dont Fenwick s’est battu pour monter ce projet. Les coulisses des rêves enragés en quelque sorte. On porte un projet comme on enfante, mais la création, l’objet, ne suffit plus. Comment trouver les subventions, faire un dossier, frapper à la bonne porte, jouer des coudes pour se faire remarquer par les directeurs de théâtre. Eux, petits artisans du tout et du rien. Confronter l’onirisme à la réalité brute, violente et fatale. Philippe Fenwick est un volcan ardent, plein d’enthousiasme et d’envie. Il bondit d’un bout à l’autre de la scène, yeux scintillants d’espoir pour exposer son merveilleux projet à qui veut bien l’entendre. Il manie sur le plateau un second degrés remarquable et souvent hilarant tant la situation est parfois kafkaïenne. Obtenir l’aval du bureau A, sésame pour obtenir la subvention de l’état qui ouvrirait tous les horizons, soit un véritable casse-tête abrutissant. A travers un cynisme affirmé Fenwick nous raconte la violence de la création, la frustration d’un projet qui s’étiole, embourbé dans des problèmes concrets quasi administratifs. Une confrontation brutale comme l’écume qui vient se projeter violemment au béton de la digue.

La pièce est entrecoupée de numéros de cirque : tantôt funambule, tantôt dresseuse de cochon on suit cette belle créature qui nous plonge dans un univers suspendu, proche du rêve des terres russes. La musique est omniprésente dans la pièce tant dans les extraits musicaux diffusés par un ingé-son culotté que par le rythme du flot de Philippe Fenwick. Comme des vagues déferlantes, le metteur en scène aux casquettes multiples nous entraîne tant dans ses envolées lyriques que dans ses tourbillons dépressifs. On passe de Bob Marley à Joe Dassin dans un charmant grand écart que nous sommes ravis de faire.

De dossiers en coups de téléphone, de subventions promises aux refus des directeurs de théâtre, Fenwick poursuit le rêve en s’arrachant à la vie. Ne pensant qu’à ça. Une création dans la destruction qui souligne la difficulté aujourd’hui de produire des spectacles hybrides qui ambitionnent de changer quelque chose. “Peut-être que pour réussir j’aurais du rêver moyen.” Comme une mer qui se retire le spectacle doit être abandonné : “Il fallait arrêter de s’abîmer”. Puis il reprend comme on se raccroche au fil du funambule. C’est sur un pied que se jouera tout cela. En équilibre et à l’aveugle.

Le mise en scène de Fenwick est débridée, saccadée parfois même tourbillonnante, ce qui nous amène au plus près des envies et des désillusions qu’il rencontre. Vladivostok, Vladivostok, comme une ritournelle incessante. Une course effrénée pour atteindre ce but ultime. Traverser les contrées, rencontrer les visages d’un soir et jouer tout simplement. Cette obsession pour la Russie dont Philippe Fenwick se joue d’une pirouette à l’autre dans la pièce est mise en exergue lors d’un passage vidéo. Une toile installée sur un fil nous permet de partager avec l’acteur des minutes de silence vraiment émouvantes durant lesquelles il interroge sa grand-mère sur ses racines. Pourquoi Vladivostok, pourquoi cette poursuite obstinée de ce rêve exotique ?

Une pièce vivante, qui jaillit sur plateau. Fenwick interpelle le public avec une verve impressionnante et touchante. On rit beaucoup et l’on est séduit par ce voyage à travers ce spectacle “contem-forain” malgré quelques longueurs. On sent que Fenwick est dans la vie, dans l’action, dans l’extrême Russie. Il conclut avec malice et émotion sous les applaudissements : “Rêvez bien.”

 Visuel (c) : Photos Pierre François.

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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