Théâtre

Michel Bouquet royal face à la mort

17 September 2010 | PAR Christophe Candoni

C’est en 1994 que Michel Bouquet faisait sa prise de rôle du roi Béranger I dans Le Roi se meurt déjà sous la direction de Georges Werler au Théâtre de l’Atelier. Depuis, il n’a cessé d’y revenir, d’abord au Théâtre Hébertot, en 2005, année où il remporta pour ce rôle fétiche le Molière du comédien, et à nouveau aujourd’hui, à la Comédie des Champs-Elysées, où, à bientôt 85 ans, il fait résonner les mots de Ionesco, les angoisses, les délires et les sanglots du vieux roi. On est subjugué par la puissance de l’acteur qui tous les soirs meurt en scène.


Le roi est vieux, malade. Il va mourir. Son royaume désolé ne se porte pas mieux – les murs sont fissurés, le chauffage ne fonctionne plus, le taux de natalité est à zéro, les écoles sont vides, on y trouve juste quelques débiles – il emportera son monde avec lui. Le décor grisâtre imaginé par Agostino Pace repose sur cette idée de délabrement (même le dossier du trône est fendu), tout comme les magnifiques costumes de Pascale Bordet, à la fois bariolés et hétéroclites. L’ensemble assume sa théâtralité, joue avec les anachronismes et se trouve au plus près de l’esprit de Ionesco qui écrit une sorte de fable, une parabole apocalyptique dans laquelle Béranger est l’antihéros. Son agonie est le signe d’une page qui se referme. Il emporte tout dans sa chute. Mais il est roi, et en bon despote, il pense pouvoir tout contrôler jusqu’à refuser la mort.

La mise en scène est de Georges Werler (voire critique de “Dernière station avant le désert” qu’il met en scène également cette saison), elle paraît légèrement datée mais pas plus que la pièce écrite en 1962 qui a aussi vieillie. Elle n’en perd pas son intérêt et son mystère, sa féroce bouffonnerie, surtout grâce à l’interprétation du grand Michel Bouquet qui joue ce roi déchu. Le comédien sert ici ce qui est probablement, avec Minetti, son plus beau rôle de théâtre, plus riche et plus profond que les Molières présentés ces dernières années. Il impressionne par la densité de son jeu, nous plonge dans la sombre tragédie du vieillard en exaltant sa part d’enfance qui palpite à l’intérieur comme lorsqu’il joue avec son sceptre de pacotille. Il est aussi farfelu, facétieux que grave, têtu et angoissé, rongé par le doute, pathétique, vainement autoritaire. Il est dans le déni, en appelle à l’amour de la reine Marie, sa seconde femme mais première dans son cœur ! jouée par Vanessa Fonte, en appelle aux plaisirs de la vie, aux joies terrestres, devient gourmand à l’idée de manger un pot au feu. Sa prise de conscience fait place à la peur, que restera t-t-il de lui, se souviendra-t-on des grandes choses qu’il a faites dans son existence ? alors que lui-même perd la mémoire. Il a tout vêcu, tout inventé mais ne se rappelle que d’un petit chat roux. L’homme est revenu à sa petite échelle devant la mort.

Révolté, combatif, le roi ne peut échapper à sa mort ! Marguerite contrôle la cérémonie. Juliette Carré accompagne sur scène depuis la création son mari à la ville. La prestance souveraine dans ses jupons pourpres, la voix caverneuse, le ton sec et rapidement scandé pour dire l’irrémédiable, elle est cinglante, autoritaire, elle mène le roi vers la résignation à l’inexorable : sa finitude. Paralysé dans un fauteuil roulant, Bouquet/Béranger se relève et se fige, debout les bras au ciel, il se laisse dépouiller de la vie comme de ses illusions. Tout disparaît. Il est seul, égaré dans le vide sous une poursuite qui éclaire sa pâle tête, l’image est saisissante, si courte et donne l’impression d’une éternité.

Le Roi se meurt, du mardi au samedi à 20h45 et le dimanche à 16h30. A la Comédie des Champs-Elysées, 15 avenue Montaigne, 8 arr. M°Alma-Marceau.01 53 23 99 19 ou comediedeschampselysees.com

Crédit visuels : Bernard Richebe

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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