Théâtre
L’insaisissable poésie des robinets de “Parades nuptiales en Turakie”

L’insaisissable poésie des robinets de “Parades nuptiales en Turakie”

10 November 2017 | PAR Mathieu Dochtermann

Du 8 au 26 novembre, le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette à Paris accueille le génial Michel Laubu et son non moins génial Turak Théâtre, pour un spectacle de théâtre d’objets et de marionnettes joliment réussi: Parades nuptiales en Turakie. Au prétexte de traquer le sentiment amoureux dans une manière de recherche anthropologique, c’est un spectacle drôle et tendre qui se déploie pour faire voyager le spectateur loin de Paris, jusqu’aux rivages étrangement familiers, un peu fragiles et un peu déglingués, de la Turakie. A voir, par tous, urgemment, pour oublier le retour de la grisaille.

[rating=5]

D’entrée de jeu, ce spectacle nous invite à un ailleurs complice, à délaisser les rivages cartésiens du sérieux pour tenter l’aventure de l’émerveillement: dans un talkie posé sur une table résonne une voix étrange, s’exprimant dans un sabir incompréhensible, un vieux ventilateur se met en route pour figurer un moteur d’avion, qui arrive bientôt sous la forme d’un moule à gaufres agrémenté d’ailes. Ses passagers, deux cygnes miniatures en plastique aafublés de vraies plumes, peuvent alors débarquer. Bienvenue en Turakie.

La Turakie, invention de Michel Laubu et de ses complices, est cette contrée à la fois proche et lointaine, où l’on parle une langue étrange mais très expressive, où tout est fait de bric et de broc, improbable galerie d’objets de récupération téléscopés ayant accouché des hybrides les plus étranges – mais aussi les plus réjouissants. Retirer la tête d’un jouet figurant un dinosaure pour la remplacer par un robinet en laiton, il faut en avoir l’idée. Récupérés, recyclés, soudés, collés, assemblés, les objets hétéroclites du Turak Théâtre composent une galerie à nulle autre pareille, poème visuel avec un charme indéfinissable conféré par la patine du temps. Ressusciter un objet déjà porteur de sa propre histoire pour l’intégrer à un signifiant plus grand lui confère toujours une dimension supplémentaire, à laquelle nous ne sommes pas toujours habitués, nous qui vivons dans le tourbillon des objets qui sortent de l’usine.

Ce joyeux fatras est mis au service d’un très joli spectacle de théâtre d’objets, qui tire globalement plutôt du côté de la marionnette, puisque finalement tous les objets manipulés en scène ont subi des transformations qui les spectacularisent et leur confèrent une valeur particulière avant même leur entrée en jeu. De classiques – et élégantes – marionnettes portées côtoient ainsi les dinosaures-robinets. Tout ce petit monde est mobilisé dans le cadre d’une conférence qui ne se veut pas trop sérieuse, d’une causerie sur le Tendre, qui donne son titre au spectacle. Avec beaucoup d’humour, et en prenant des détours par le huitième degré, Michel Laubu explore les jeux de séduction. Partant du règne animobjetal, il en arrive à se préoccuper des humains et des flèches de Cupidon. Les calembours visuels et textuels alternent avec les moments délicats et poétiques – des uns aux autres il n’y a souvent qu’un léger frémissement.

C’est léger, imaginatif, drôle, réjouissant, dépaysant. Le narrateur-manipulateur, constamment en scène, nous emporte loin dans son récit, mais focalise l’attention avec une facilité déconcertante sur ses personnages quand il a besoin de les investir d’une présence. Cette facilité à aller d’une incarnation à une autre relève presque de la prestidigitation tant elle est bluffante.

Un spectacle que l’on ne peut que chaudement recommander, visible par tous publics. L’exposition qui accompagne le spectacle, Petite cuisine amoureuse et bricolée en Turakie, est l’une des plus belles qui aient été présentées au Mouffetard, avec une mise ne scène particulièrement étudiée. Tout cela est à ne pas rater!

Conception et interprétation : Michel Laubu
Mise en scène : Emili Hufnagel
Dramaturgie : Olivia Burton
Régie plateau et lumières : Hélène Kieffer
Musique (enregistrée) : Lamento della Ninfa de Monteverdi
Arrangement, guitares et clarinettes basses : Laurent Vichard
Voix : Jeanne Crousaud
Construction, accessoires et marionnettes : Michel Laubu et Géraldine Bonneton
Production – administration : Cécile Lutz

 

Infos pratiques

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