Théâtre
L’école sur un plateau

L’école sur un plateau

26 June 2015 | PAR La Rédaction

Le théâtre parle de tous les sujets. Merci lapalissade ! Mais en réalité, quand il s’agit de se demander comment l’école est perçue et transmise sur les scènes, cela coince. Peu de spectacles, particulièrement dans l’actualité s’emparent du sujet polémique de l’instant. ( Petit) tour de piste.

En 2011, le metteur en scène Jean-Pierre Vincent faisait découvrir en France  Cancrelat , la pièce d’une jeune dramaturge britannique, Sam Holcroft, donnée à la Chapelle des Pénitents Blancs au Festival d’Avignon puis à Théâtre Ouvert à Paris. L’action se déroule dans une salle de classe où Beth, une jeune professeure de sciences dispense un cours sur la sélection naturelle des insectes. La leçon entre tout à fait en écho avec la vie de ses jeunes élèves, secoués et fragilisés dans un contexte de conflits générationnels, de méfiance et de rébellion vis-à-vis de l’autorité, de violence plus ou moins latente à laquelle il n’est plus vraiment prêté attention tant elle semble quotidienne alors qu’elle représente une persistante menace. Les effroyables situations que la pièce met en scène et les relations troubles et complexes qu’entretiennent les personnages dans un rapport de domination et de manipulation constant entre eux se font l’écho, le miroir non négligeable de la sauvagerie, du chaos extérieur où justement une guerre encore plus grande et dévastatrice est en train d’éclater. Plutôt que d’en être protégé, le microcosme d’une salle de cours pour étudiants appartenant à une petite bourgeoisie paupérisée à qui on dispense du savoir est en réalité le réceptacle et le catalyseur de cette catastrophe. Résister pour subsister est-il encore l’enjeu de la société contemporaine ? C’est l’interrogation que suscite le texte avec forte dimension politique. Dans une société de cancres, le plus fort et valeureux ne remporte pas nécessairement la mise mais bien plutôt celui qui s’adaptera et s’accommodera le mieux à son environnement même hostile, à l’images des cancrelats qui donnent son titre à la pièce.

C’est le même angle que Matthieu Roy a choisi pour Days of Nothing, d’après un texte de Fabrice Melquiot. Dans ce spectacle en huis clos dans un lycée de banlieue se déroulent des crises d’adolescence. On y rencontre Maximilien (Hélène Chevalier) qui parle comme un lascar. Il joue à être un autre cela est évident. Lorsqu’il rencontre Remi Brossard (Philippe Canales) un auteur en résidence au collège-lycée Jean Moulin, il le cherche, le traite de « gros gay » mais très vite, son sens inné de la tacle verbeuse laisse déceler du génie. Mais la rencontre se fait trop tard. Maximilien perd goût à la vie, sans retour possible. Le texte de Melquiot est là, précis et incroyablement juste sur les malaises d’un système éducatif qui est plus préoccupé par les parents que par les enfants. Il est peut être le spectacle qui pointe les failles qui voient un auteur devenir un interlocuteur alors qu’il n’est pas formé à cela.

Mais l’école, cela peut juste être un terrain de jeu spectaculaire. La pièce choc de Ludmilla Razoumovskaïa, Chère Elena, dans laquelle Myriam Boyer a triomphé toute la saison au Poche Montparnasse, raconte l’intrusion de quatre adolescents chez leur professeur au cours d’une nuit qui tourne au cauchemar. On leur donnerait le bon Dieu sans confession quand ces jeunes gens se présentent chez leur hôte en petit uniforme ajusté et les bras chargés de cadeaux en prétextant une visite amicale à l’occasion de son anniversaire. Apparemment instruits et bien sous tous rapports, ils mettent en place un plan diabolique de manipulation et de démolition pour récupérer la clé du coffre qui contient leurs copies ratées d’examen. Chantage odieux, prise d’otage, violence glaçante, saccage, viol… leurs agissements monstrueux donnent lieu à des scènes d’une brutalité terrible.
A travers le personnage d’Elena, la pièce montre là encore comment le savoir et l’intelligence, l’éthique morale et les belles valeurs humanistes enseignées ne parviennent à parer le basculement glaçant d’une société dans la barbarie.

De la même façon, souvenons-nous que Marguerite Duras publia, en 1971, un texte fort sur l’école : Ah ! Ernesto (reparu récemment aux éditions Thierry Magnier). Conte pour enfants critiquant, de façon iconoclaste, l’institution, dans la droite ligne des idées de mai 68. Après sa première journée en classe, le petit Ernesto – prénommé ainsi en hommage au Che – annonce un soir à sa mère qu’il ne “retournera plus à l’école ». Pourquoi ? Sa réponse : “A l’école, on m’apprend des choses que je ne sais pas ». Notre auteur choisira de reprendre ce thème en 1990, et de le prolonger sous la forme d’un roman : La Pluie d’été. Un texte dont plusieurs jeunes metteurs en scène s’empareront au cours des décennies suivantes. Jusqu’à aujourd’hui : c’est au cours de la saison qui s’achève que Sylvain Maurice a créé le diptyque Histoire d’Ernesto La Pluie d’été. Mais bien souvent, le pied-de-nez à l’école ne sera pas le centre de leurs adaptations… Eric Vigner, qui transposera le roman en 1993, puis à nouveau en 2006, choisira de transmettre au public le trouble d’Ernesto, qui “se tient là, dans la souffrance et l’incertitude à décider de l’Existence ou de l’Inexistence de Dieu” (note d’intention, 1993). Emmanuel Daumas, qui l’empoignera en 2011, figurera plutôt le mode de vie et l’éclatement progressif de la famille d’Ernesto (lisez notre critique). Lucas Bonnifait, qui l’abordera en 2011 aussi, tentera de “raconter à nouveau le mythe”, car “La Pluie d’été n’est rien d’autre qu’un mythe” (dossier presse, 2013)… Au cours de la saison qui vient de s’écouler, Sylvain Maurice, lui, a fait le choix de donner une “version pour enfants” de cette Histoire d’Ernesto. Jouée par des marionnettes de différents types, dont des kokoschkas, des marionnettes sans têtes, sur lesquelles venaient se greffer celles de ceux qui les animaient. En a résulté une série de jeux sur les échelles, avec un instituteur à très grosse tête, impressionnante mais aussi très pesante. Peut-être la version qui mettait les questions d’âge, et l’opposition entre enfants et adultes le plus au centre. Mais tout puissant, et tout chargé de contexte social qu’il est – les parents d’Ernesto sont des immigrés vivant à Vitry – le roman La Pluie d’été ne mériterait-il pas aujourd’hui une version théâtrale questionnant le refus de l’école, bizarre, inexplicable ?

En tout cas, ce n’est pas parce que le théâtre sèche et tacle l’école qu’il ne rentre pas exactement dans la mission scolaire : l’exemple précédent vient tout droit de Sartrouville, centre dramatique connu pour prendre à coeur la création jeunesse, et les représentations scolaires… Ne lui mettons pas un 0 pointé !

Visuel : ©JeanLouisFernandez

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La Rédaction

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