Théâtre
Le Misanthrope vu par Sivadier, une comédie grinçante

Le Misanthrope vu par Sivadier, une comédie grinçante

23 May 2013 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le Misanthrope est à la mode. Air du temps qui rend les artifices plus célèbres que les âmes. Le Théâtre de l’Odéon a participé à la tendance en mettant à l’affiche, en 2012, le grandiose Der Menschenfeind par Ivo Van Hove. Nous étions alors, ancrés dans le verbe et dans l’esthétique du présent. Sivadier choisit de faire dialoguer Molière avec aujourd’hui, dans une proposition qui se place dans le champ de l’héritage.

Le décor se laisse voir, Alceste (Nicolas Bouchaud) est assis en fond de scène, sur une chaise. La tradition raconte que Molière balançait justement une chaise quand le Misanthrope démarrait. Ces sièges dans leur version écolière, en bois et métal deviennent lustres de grand siècle suspendus aux cintres. Ils regardent de leur hauteur le sol, le plateau penché recouvert de bouts de plastiques noirs. C’est absolument élégant en même temps que fragile, Sivadier cherche l’archaïque.

Il s’agit de revenir aux sources mêmes de la définition d’une société, ce “vivre ensemble” si actuel. Alors, le texte et les intentions que Molière a posé en 1666 seront respectés à la lettre dès la première seconde où la part d’ improvisation, ici laissée au public, intervient quand Philinte (Vincent Guédon) vient faire une annonce portable en alexandrin et participative.

Nicolas Bouchaud est Alceste, tellement, absolument. Les cheveux en bataille, kilt et veste en velours, il bondit sur “Should I Stay or should I go” des Clash. Un hymne punk pour l’anti-social qu’il est, lui qui veut se retirer du monde, car personne n’est “sincère”, lui qui ne veut pas jouer à paraître. Lui qui ose dire à Oronte que son sonnet est mauvais, risquant un procès au passage. Mais voilà… nous sommes au théâtre et il faut bien un coup…de théâtre. Coups d’ailleurs qui font s’illuminer le décor de mille éclairs venant apporter noirceur et profondeur à la comédie qui glisse dans le tragique. Nous sommes au théâtre et il faut bien des lever et des baisser de rideau… mais en soie, et majestueux.

Célimène (Norah Krief) est désirée et désirable, elle papillonne et avale tous les galants, Alceste l’aime et seule elle pourrait le faire revenir au monde si elle acceptait de lui appartenir. Coup de théâtre assuré ! Un homme qui n’aime personne aime une femme !

Dans ce royaume de dupes, tout le monde ment et tout le monde joue… sauf Alceste qui déprime sec. Au temple des pestes, Arsinoé (Christèle Tual), déboulant sur un carrosse (en chaises), est la reine. Tout le monde se compare (superbes jeux de jambes entre Norah Krief et Christèl Tual), tout le monde se toise.
L’une des grandes forces de ce spectacle est sa beauté, mais aussi la direction d’acteurs. Tous sont parfaits, chacun pouvant déployer un jeu propre très défini. Sivadier a réussi à les laisser absolument libres. Bouchaud fait du Bouchaud, exalté, physique et fou. Norah Krief est espiègle et gouailleuse, Christèle Tual est fatale, Cyril Bothorel est flamboyant dans une gestuelle appuyée, Christophe Ratandra et Stephen Butel sont deux marquis ridiculement délicieux et Anne-Elise Heimburger chante de l’opéra. Cette sensation de forte identité jaillit aussi par la présence de costumes là aussi absolument cohérents avec les personnages : La robe mordorée de la volage Célimène, le velours rouge de la “méchante” Arsinoé.

Sivadier impose sa lecture, même si elle n’est pas neuve, d’une comédie noire où un homme est le symbole du monde, dans l’éclat d’un esprit de troupe… fidèle à la tradition des plateaux. Le XVIIe devient proche, Vivaldi rencontre le Punk, le monde va mal, il tourne en rond, et bien… jouons !

Visuel (c) : Brigitte Enguérand

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