Théâtre
Le Maître et Marguerite fait l’ouverture diablement réussie du Festival d’Avignon

Le Maître et Marguerite fait l’ouverture diablement réussie du Festival d’Avignon

09 July 2012 | PAR Christophe Candoni

Monument de la littérature russe du XXe siècle, Le Maître et Marguerite de Boulgakov, adapté et mis en scène par l’anglais Simon McBurney a déjà voyagé dans plusieurs capitales européennes dont Londres, Vienne et Madrid. Mais à l’évidence, c’est en plein air dans la Cour d’honneur du Palais des papes, lieu pour lequel il a été conçu et parfaitement utilisé, que ce grand et beau spectacle s’inscrit au mieux. Avec cette création, le Festival d’Avignon s’ouvre sous les signes de la magie noire et de l’amour éternel, de la résistance et de l’utopie. Il nous offre un bonheur de théâtre épique, politique et poétique.

Il faut de l’audace et autant de folie pour porter à la scène un roman aussi conséquent et complexe que Le Maître et Marguerite, cousu d’intrigues foisonnantes et d’énigmes redoutables. De grands metteurs en scènes européens s’y sont déjà collés dont Krystian Lupa à Cracovie ou Frank Castorf à Berlin au début des années 2000. Ces deux versions passeront peut-être pour plus radicales que celle proposée par McBurney qui raconte l’histoire de façon claire et fidèle au livre mais ce n’est déjà pas rien surtout quand cela est fait avec autant d’intelligence et d’inventivité, de malignité et de sincérité. Le résultat est authentique, pas artificieux. On y trouve une symbiose évidente entre les ressources du lieu et du plateau, les forces physiques et technologiques propres à un théâtre qui est à la fois hyper contemporain et pratiqué simplement, artisanalement. Peu d’accessoires, pas plus de décor (un pan de mur, une table, une cabine, un lit, des chaises figurent quantité d’espaces et de situations). Une maîtrise absolue de la vidéo, de la lumière et du son aide à relever le défi. Une vue aérienne de Moscou à la manière de google earth permet des enchainements fluides d’un lieu à l’autre et de localiser facilement les évènements.

La pièce dure presque 3h30 sans entracte, elle passe à toute allure. McBurney et ses acteurs du Théâtre de complicité nous embarquent dans leur formidable imaginaire qui rend compte aisément de la variété des tons et des styles qui caractérise le roman. Le spectacle est plein d’humour et de fantaisie. On rit de la drôle de clique du diable, du Faggot de Angus Wright, narrateur singulièrement décalé, et surtout du chat Behemoth, prosaïque mais tordante boule de poils noirs sur pattes aux yeux rouges perçants, manipulée par plusieurs acteurs. L’univers fantastique est également bien mis en scène au moyen de projections somptueuses et délirantes (le vol de Marguerite au-dessus des toits moscovites dans la nuit).  Il y a aussi du mélo avec la belle histoire d’amour du Maître et de Marguerite, de la passion, de la révolte, de la magie, du drame, du chaos telle la dernière image du spectacle où le mur écrasant et majestueux de la Cour d’honneur se fissure puis s’écroule sur les corps inertes des amoureux.

Adapter Le Maître et Marguerite ne supporte pas la demi-mesure et McBurney signe une représentation spectaculaire. Les effets visuels et sonores stupéfiants ne sont pas vains mais plutôt au service de la narration et – c’est le plus important – n’éclipsent jamais les acteurs. Leur jeu engagé et puissant est lui d’une juste mesure, d’une forte vitalité. L’équilibre est donc parfait.

Sous un long manteau noir, un béret et des lunettes opaques, seules ses dents dorées illuminent une silhouette toute droite, un mystérieux voyageur débarque à Moscou sous le nom de Woland, professeur et sorcier, omnisciente figure qui prédit la funeste fin de Berlioz décapité sous un tramway. Il bouscule la ville et sa petite société culturelle en décomposition sur le plan de l’humain, il fait tourner les têtes quand il ne les coupe pas, renverse l’ordre établi. Quel diable ! Plein de sollicitude pour le poète désespéré que l’on appelle Maître, il est finalement plus salvateur que mauvais. Ici c’est le même acteur qui campe les deux rôles, formidable Paul Rhys, physique grand et émacié, tout aussi terrible que vulnérable. Sinéad Matthews est Marguerite, magnifique, femme fatale au charme rétro.

Le roman a été interdit de publication par Staline. Cette référence est présente à plusieurs reprises dans la mise en scène de Simon McBurney qui ne se suffit pas d’embrasser largement les époques que recouvre le livre, de la Jérusalem biblique à la Russie soviétique, mais tient à évoquer aussi tous les totalitarismes y compris les moins perceptibles aujourd’hui. L’homme traverse le temps, de l’époque de Jésus et Ponce Plate aux années 30 où le petit cercle littéraire, le Massolit, a perdu la conscience de Dieu. Il rêve de justice et de paix, s’interroge sur sa capacité à compatir, à faire le bien et se demande s’il a vraiment changé à l’intérieur.

 

Photo : © Robbie Jack / (c) Christophe Raynaud de Lage

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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