Théâtre
Le journal d’une femme de Chambre au Tremplin Théâtre : l’être de noblesse

Le journal d’une femme de Chambre au Tremplin Théâtre : l’être de noblesse

14 December 2014 | PAR Aaron Zolty

Lettre à Karine Ventalon.

 

 

 

Chère Madame,
J’étais hier soir à la représentation du Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau dans ce petit théâtre Le tremplin théâtre dont l’inconfort est inversement proportionnel à votre génie. Ainsi, nous oublions notre bien être pour n’être que plus attentif à votre incroyable sens du frontal contenu dans cette œuvre légère vendue sous le manteau au début du vingtième siècle dans les odeurs nauséabondes des Croix de feu et des danseuses de Degas.

Je n’ose vous appeler Mademoiselle tant le mot est galvaudé voir interdit. Pourtant, comme il conviendrait à votre statut de Femme de chambre subversive – car la subversion est populaire avant d’être artistique – rémunérée à coups de trique, de mépris, de prises à la hussarde, d’enfantement du maître. Bref un statut de femme à part, qu’octave Mirbeau, dépeint avec acidité du premier au dernier soupir de l’accomplissement. Voyage dans la tête et le corps d’une femelle apparente tenant les hommes par la chaleur intime du ventre. N’est pas maître celui que l’on pense quand la conscience et l’esprit de revanche de sa condition sont des feux animés de posture, d’arrogance, de fausse virginité et de ce regard calculé de la colonisée sur le colonisateur.

Vous êtes Madame, une actrice. Comme l’est cette femme attachée à la coiffure, au bien-être, aux couvre-lits, aux maraudages, aux secrets, aux plateaux, aux souliers dans ces robes noires et jarretelles que les femmes bourgeoises et aristocrates à la vertu légère délaissaient pour rejoindre le couvent, leur amoralité révélée. Qui êtes-vous Karine ? A nous faire sentir bourgeois dominateur en érection mentale devant votre performance. Ah, votre performance seule en scène et en bas de soie ! Vous jouez sur les hauteurs de Pigalle, à quelques pas du Bateau Ivre, à quelques enjambées de Pigalle et ses hôtels particuliers. Ses hôtels si particuliers, aristocrates caboulots, où les barons appelés « tonton », diplomates et hommes d’église offraient à leurs danseuses, folles bergères, le coton des colonies sur leur peau pâle d’opéra de quat’sous.
Spectateurs, nous avions tous en images Jeanne Moreau et ses bottines dans le film de Luis Buñuel. Mais ça, c’était avant. La haute couture a fait son œuvre. Etes-vous habillée d’un texte excitant de sensualité ? Est-ce le texte que vous dénuder ? Sommes-nous dans cet amour de la langue qui nous pousserait à migrer vers ces frontières interdites que quête l’aventure érotique de la domination ? Madame, je vous le demande, où nous embarquez-vous ? Ici, nous pourrions penser à moindre mal que nous sommes voyeurs. Non, vous jouez. Vous jouez le plaisir, vous jouez la tendresse, vous jouez l’antisémitisme dans la bouche de votre amant définitif, vous jouez l’impertinence, vous jouez tout, d’un trait, d’un battement cil, d’un frottement de page comme de l’onanisme. Imparfaitement parfaite. Addict au jeu. Droguée à l’incarnation. Imperturbablement infante, putain, soumise, impertinente, consciente, dominatrice du texte et de nos âmes de spectateurs pêcheurs.

Votre performance donc disais-je. Seule en scène, vivant entre innocence et perversion ce que l’appel des baisers de ces messieurs inspire, traduisant avec lassitude et énergie le moindre mot de ce journal dont chaque page tournée de votre main appelle avant l’évocation l’émotion. Non pas celle de cette lecture car votre acte de chair et d’esprit n’est en tout point jamais dans le « lire » mais dans le « dire ». Oui, Madame, de votre jeune visage si apte à transcender tant les émotions du moindre souffle ou d’un personnage masculin, vous ne nous apprivoisez pas, vous nous érotisez. Mais vous, Actrice avec un grand A, vous avez la grâce étrange de Blanche de la Force, l’abnégation de Fantine, les pauses de la Goulue, la modernité de la gestuelle sans complexe et intense, définitivement indispensable au sens dans la pureté irrationnelle d’une diction aussi séduisante que vos hanches et vos cuisses pâles. Non, au-delà de l’orgasme, au-delà de la pauvreté de classe si justement articulée dans votre bouche (et ici la bouche n’est point les lèvres) vous incarnez. Nous le sentons. Nous sommes érotisés, en érection mentale comme dirait Victor Hugo, face à la réalité du Je. L’inventivité du jeu. A ce point tel que vous n’êtes qu’acte. Ici est votre majesté.

Sans rideau apparent, jouissant sous nos yeux, souffrant dans l’affront, cherchant la bonne place, s’exerçant à faire de votre expérience d’actrice la maîtrise de sa condition pour assouvir sa faim par celle des maîtres ; vous êtes la performance puissante qui vous tient sur scène, dénudée et cambrée sans que le mot ne disparaisse, sans devenir une simple langue des signes, nous laissant sur notre cul.

Madame, si jeune, vous m’avez rappelé que la modernité de la posture théâtrale se pose sur une vérité de l’enseignement classique. Vous inspirez ce sentiment d’avoir vu quelque chose de juste. Unique. Que « Oui, ça ne peut être autrement joué. Oui, la condition humaine est ici. Oui, l’homme sent le stupre. Oui, quand l’amour nous tient, la saleté de l’âme on s’en fiche. Oui, aimer s’est être prête à tuer. Oui, on n’analyse rien. Oui nous sommes des animaux animés. Oui, la symbolique du texte est une vie après l’écriture, une vie après la vie. Et que, de rencontrer un personnage dans sa vie comme dans la littérature dévoile notre personnalité à jamais inscrite dans cet intimité, qu’avec nous vous savez – car c’est un savoir du jeu- formidablement partagé. Voire bouleversé. Sinon, pourquoi « dire » un journal ? A vous revoir à Avignon. J’aimerais tant Mademoiselle.
J’étais au théâtre l’autre samedi soir. J’y ai vu une comédienne. Française. J’allais écrire « C’est rare. ». La séduction d’une actrice qui ne cherche pas à séduire.

La pièce “Le journal d’une Femme de Chambre” est en compétition
pour les « P’tits Molières 2015 ».

Aharon Zolty .
Rôle interprété par Karine Ventalon
Mise en scène de William Malatrat
Adaptation Virginie Mopin et William Malatrat

Lien
http://www.tremplintheatre.fr/spectacles/le-journal-dune-femme-de-chambre/

facebook/lejournaldunefemmedechambre.tremplintheatre
Contact compagnie : Compagnie Népenthès-Théâtre
William Malatrat
21, passage Gambetta
75020 Paris
[email protected]
Contact : 0952188637 / 0610681630

Infos pratiques

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Comédie saint michel
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