Théâtre
Le génie de Sophocle remis au jour par une Antigone palestinienne

Le génie de Sophocle remis au jour par une Antigone palestinienne

13 January 2017 | PAR Mathieu Dochtermann

Adel Hakim reprend à Ivry l’Antigone qu’il y avait créée en 2011, pour la présenter dans la toute nouvelle Manufacture des Oeillets. Au texte aussi brillant qu’actuel de Sophocle, il insuffle une contemporanéité qui ne dessert en rien sa clarté et n’en trahit aucunement l’esprit. Les comédiens, membres du Théâtre National Palestinien, sont tous extrêmement justes dans leur interprétation, portant haut le verbe de l’antique tragédie, en arabe surtitré. Vivifiant autant que poignant: une magnifique expérience de théâtre qui se joue jusqu’au 15 janvier.

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Antigone, près de 2500 ans après qu’il ait été écrit, reste un texte incontournable et universel. Preuve en est cette version présentée à nouveau par Adel Hakim à Ivry, dans les magnifiques locaux de la Manufacture des Œillets, restituée en langue arabe par des acteurs du Théâtre National Palestinien.

Le texte, d’abord donc et avant tout, se redécouvre dans son âpre beauté, dans sa totale actualité, dans son incommensurable génie, encore et encore, comme à chaque fois qu’il est monté dans le respect de sa richesse et de sa complexité. La dramaturgie de Sophocle, sa maîtrise de la langue, la puissance d’évocation et la profondeur de la tragédie qui nous saisit tous au travers des Labdacides, tout est ici restitué avec précision. Adel Hakim a choisi de mêler au texte antique des poèmes de Mahmoud Darwich (Il y a sur cette terre, mais amputé du vers se référant explicitement à la Palestine) qui s’intègrent avec grâce au spectacle, ceci d’autant plus que le texte grec a été traduit en arabe (surtitré en français, évidemment).

En effet, les interprètes sont tous palestiniens, et donc arabophones. On ne glosera pas sur les échos que la nationalité des comédiens peut trouver avec le texte – chacun l’entendra selon sa propre sensibilité. Mais il faut par contre saluer très bas l’interprétation convaincante, engagée, électrique de Shaden Salim dans le rôle d’Antigone, qu’elle campe nerveuse, à la fois noble et inquiétante dans sa rigide intransigeance. L’interprète de Créon, Hussam Abu Eisheh, insuffle une subtilité machiavélique à son personnage, en réussissant le tour de force de ne pas tomber dans la caricature. Toute la distribution est convaincante – un magnifique Tirésias, un garde très bouffon, un choeur toujours juste… – et la musique de la langue de Sophocle et le talent des interprètes sont tels qu’on distingue encore le chant du texte malgré sa transposition en arabe.

La mise en scène est sobre et moderne, l’essentiel de l’action se jouant sur une scène métallique placée au centre du plateau, sorte de tréteaux modernes surmontés d’une façade de palais elle-même métallique, aux lignes dures, froide et austère malgré la lumière chaleureuse qui la baigne la plupart du temps. Installé sur des chaises de part et d’autre, le chœur contemple l’action et la commente à son tour, les humbles apparaissent par la coulisse tandis que les puissants font leurs entrées en franchissant l’une des trois portes du palais. Tout est clair, net, tranché: les nuits sont plongées dans un crépuscule froid et bleuté, les jours sont aussi brillants que brûlants. Pas de fioritures, semble nous dire la scénographie d’Yves Collet: le texte, les comédiens, et toute la place nécessaire pour que la tragédie assoie son emprise sur le public. Seul ornement raffiné, mais pas des moindres, la musique délicatement jouée au oud par le génial trio Joubran, qui accompagne délicieusement l’action et la colore de nuances résolument méditerranéenne.

C’est un spectacle qu’il faut voir, non seulement parce qu’il rappelle l’absolue modernité de ce texte fondateur, qui résonne d’autant plus fort qu’il prend ici des accents d’Orient, mais aussi et surtout parce que la restitution de ce chef-d’œuvre universel est à la fois juste et urgente, et qu’il faut, particulièrement dans les temps de chaos et d’incertitude, ne jamais arrêter de s’abreuver à la source essentielle des mythes.

A voir à la Manufacture des Oeillets jusqu’au 15 janvier 2017.


mise en scène: Adel Hakim
scénographie et lumière: Yves Collet
musiques: Trio Joubran
texte arabe: Abdel Rahman Badawi
texte français: Adel Hakim
costumes: Shaden Salim
construction décor: Abd El Salam Abdo
collaboration: ateliers Jipanco
vidéo: Matthieu Mullot et Pietro Belloni

avec les acteurs du Théâtre National Palestinien: Hussam Abu Eisheh, Alaa Abu Garbieh, Kamel Al Basha, Mahmoud Awad, Yasmin Hamaar, Shaden Salim, Daoud Toutah

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