Théâtre

La radicalité du Woyzeck de David Bösch

07 February 2010 | PAR Christophe Candoni

La 7ème édition du Festival Le standard idéal représente un moment clé de la saison de la MC93. La programmation ambitieuse de Patrick Sommier nous invite à découvrir le travail des metteurs en scène étrangers les plus marquants, leur esthétique, leur lecture de textes classiques et contemporains. Nous avons assisté à la reprise du Woyzeck par David Bösch, metteur en scène associé au Schauspiel Essen, qui réalise une production puissante et violente de la dernière pièce restée inachevée de Georg Büchner et particulièrement révélatrice de la jeune mise en scène allemande.

La principale difficulté à monter Woyzeck est que le texte nous est parvenu fragmentaire et inachevé dans la mesure où l’auteur est mort avant d’avoir écrit la fin de sa pièce. De ce fait, chaque metteur en scène en fait sa propre adaptation. L’intrigue est simple, Woyzeck est un pauvre homme qui devient le cobaye d’un docteur fou (dans la première scène qui donne le ton du spectacle, Woyzeck est branché à un casque et le docteur avec une télécommande lui envoie de l’électricité) puis, il rentre au service d’un capitaine de l’armée pour gagner quelques sous et nourrir Marie, la femme qu’il aime, et leur petit enfant, qu’ils traînent comme un boulet dans une vieille poussette.

David Bösch réalise une mise en scène fulgurante, des images fortes et choquantes pour décrire la violence exacerbée des situations. Avec son scénographe Patrick Bannwart qui réalise aussi les costumes (volontairement moches et sales), ils ont travaillé sur une esthétique de la laideur qui renforce la misère à la fois financière et aussi morale et intellectuelle des personnages. David Bösch rend compte de la déchéance, d’une humanité dégradée qui sombre dans un quotidien de mouise. On retrouve plusieurs leitmotive très significatifs. D’abord, le rapport aliénant à l’espace qui isole les personnages enfermés dans une espèce de blockhaus aux murs noirs dont la seule ouverture est le ciel sombre figuré par un large trou béant en forme de cercle. Une pauvre grand-mère en chemise de nuit essaie de sauter pour s’échapper mais ne parvient pas à l’atteindre. Les autres éléments dramaturgiques intéressants sont la glaciation du plateau recouvert de neige et la représentation physique et mentale de la folie. On nous présente un monde de fous et de malades, d’éclopés de la vie. Les seconds rôles sont tous représentés infirmes : le capitaine (Holger Kunkel) arrive sur un fauteuil roulant, il lui manque un bras, une autre marche sur des béquilles. Les visages des acteurs sont terrifiants, tous ont le teint blafard qui leur donne une allure spectrale, cela participe à leur déshumanisation.

Les scènes sont saisissantes et d’une violence inouïe : lorsque le Tambour-major casse une série de bouteilles en verre sur la tête et le dos de Woyzeck on retient son souffle. David Bösch a beaucoup de talent et des idées parfois faciles et crues. Ainsi, on trouve des scènes d’une grande trivialité comme le Tambour major qui violente sexuellement Marie et qui se masturbe ou Woyzeck qui jette à la tête du capitaine un seau d’urine. Ses interprètes sont tous formidables et relèvent une véritable performance physique et émotionnelle. Sierk Radzei est un Woyzeck ventripotent, simple et touchant, Nadja Robine trouve la juste fragilité de Marie. Nicola Mastroberardino joue le Tambour-major devenu ici un chanteur de rock accompagné en direct par un « orchestre undergroud » assourdissant : bad boy aux cheveux rasés, la ceinture tête de mort, les montres en or bling bling sont un peu trop caricaturaux. Dans le rôle d’Andrès, qui apparaît sous les traits d’un clochard qui pousse un caddie, Raiko Kuster est poignant.

Ce qui est bouleversant dans cette pièce, c’est l’évolution du personnage éponyme qui sombre dans la folie. Woyzeck ne croit plus en rien, il veut donner à Andrès son crucifix et une image pieuse, puis jette à la poubelle la bible de sa mère. Son dernier acte est de tuer Marie par deux coups de couteau dans le ventre. Le visage peint avec le rouge à lèvres de celle-ci, il fait écho à la tache de sang sur la robe de la jeune femme. Victimes du drame d’une société défaite, ils deviennent deux martyrs, deux plaies brulantes dans la froideur de la neige.

Woyzeck, le 6 et 7 février 2010 à la MC93 et le Festival Le standard idéal, jusqu’au 19 février 2010 à la MC93, 1 BD Lénine 93000 Bobigny. 01 41 60 72 72. www.mc93.com

Le charme de Célarié et la malice de Hirsch font merveille dans La Serva amorosa
“Nos enfants nous accuseront” : un documentaire engagé et efficace
Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

One thought on “La radicalité du Woyzeck de David Bösch”

Commentaire(s)

  • Avatar photo
    yael

    Encore une superbe critique, merci Christophe!

    February 7, 2010 at 23 h 29 min

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration