Théâtre
La figure de l’ouvrier sur les planches

La figure de l’ouvrier sur les planches

04 May 2016 | PAR La Rédaction

Apparemment supplanté par la figure du trader ou du salarié de multinationales confronté à la crise, celle de l’ouvrier semble peu présente dans les textes contemporains. Elle stimule pourtant toujours les metteurs en scène qui proposent régulièrement un nouveau regard sur des personnages aussi emblématiques que le Figaro de Beaumarchais (Rauck, Barchet), le Woyzeck de Büchner ou de Berg (Lagarde, Marthaler), ou les anti-héros d’Orvath.

Figure précaire

L’ouvrier est au cœur d’une des plus belles pièces de Peter Handke, Par les villages, qui met en scène le retour d’un homme ayant fui son pays natal pour exercer son métier d’écrivain loin de sa famille et des ambitions minimes de son frère, ouvrier en bâtiment et de sa sœur, vendeuse voulant ouvrir un petit commerces . La force et la générosité du texte réside dans sa capacité à faire s’exprimer dans un parler riche, lyrique et intellectuel aussi bien les villageois que la population urbaine mises sur un plan d’égalité. La pièce est politique dans la mesure où elle porte avec feu, la parole des gens du peuple, ceux qui ne parlent jamais, confrontés à un monde en mutation constante, traversé de changements fulgurants pour faire recouvrer et proclamer la beauté du monde non pas tel qu’il est mais tel qu’il est vu par le regard des hommes transcendés par l’émerveillement et le réenchantement par l’art.

Chez Joël Pommerat, les figures populaires ne manquent pas. Nous sommes en 2006, ces sont Les Marchands. Ici tout est en noir et blanc « comme au cinéma », les vêtements, les panneaux de ce décor qui se transforme, d’un coup de noir théâtral en usine « Arsilor » ou en appartement vide. Comme au cinéma aussi, la musique jaillit, dramatique pour apporter un vernis d’une beauté absolue à une histoire densément sale. Le texte de Pommerat appuie sur le misérabilisme, les choses sont « un petit peu » mieux qu’ailleurs.  Si on voit la lumière, elle est froide et blanche.  Les hommes se taisent ou parlent peu, pantomimes conscients de l’esclavage moderne.

Cette année, au festival ZOA, Mohamed El Khatib  opposait le corps de Corinne, 53 ans, est opposé à celui d’Elodie Guezou, danseuse de 24 ans à la souplesse extrême. Que provoque un travail sur un corps ? Que font les produits ménagers sur les mains de Corinne ? Qu’est-ce cela qu’implique sur la souplesse du dos de pousser ce robot serpillière  ? Mohamed El Khatib prend le ballet au sens propre, celui qui nettoie, censé être associé à la saleté et celui dansé par les étoiles de l’Opéra, ici, le Lac des Cygnes que Corinne accompagne sur sa chaise à roulettes, elle qu’on ne voit pas qui part avant et après, en opposition à la danseuse qui se produit sur scène. Mohamed El Khatib intervient ici en chorégraphe des mots et des gestes pour rendre compte d’un état des lieux précaires. Il est le Daumier de la performance, mettant en lumière les petites gens invisibles.  L’une fait un métier dénigré, l’autre  est dans une instabilité folle d’emploi. Rien n’est enviable ici.  Moi Corinne Dada était résolument un spectacle politique.

En un siècle la figure du travailleur fragilisé s’est transformée, on le voit bien. C’est également ce que montrait  en 2012,Bruno Meyssat, avec 15%. « 15% », ou ce que les traders doivent à tout prix faire gagner à une entreprise, sans quoi celle-ci se verra obligée de procéder à des licenciements économiques. « L’époque croit aux marchés et à leur capacité à exprimer des réalités fiables », nous disait le metteur en scène, avant d’ajouter que la finance, dans ses dérives, révèle « l’absence pour elle de toute valeur ». Sur scène, donc, il nous présentait le combat pour atteindre les 15%. Un combat aucunement réaliste : dans un espace blanc qui évoquait une bourse, les traders se déplaçaient avec une tronçonneuse devant eux, s’habillaient en footballeurs américains pour leurs rendez-vous… Les flux de chiffres, et les passions humaines qu’ils engagent, se trouvaient grossis. La troupe de comédiensprésente sur le plateau incarnait des hommes dont l’attente avait été hypertrophiée par les chiffres.

En lutte

La figure de l’ouvrier, prise dans ces trois exemple est toujours perçue comme une précarité dont il faut sortir. Les luttes sont rarement montrées. Bientôt, du 10 au 14 mai, la Maison des Métallos  reprendra un spectacle donné en février dernier. A plates coutures 

. “La pièce s’inspire du combat des ex-ouvrières Lejaby face à la fermeture de leur atelier en 2010. Cette pièce a été écrite par l’auteure, metteure en scène et comédienne Carole Thibaut, artiste fidèle des Métallos. Dans une écriture forte et poétique, nourrie de la rencontre avec ces ouvrières, quatre comédiennes et un musicien racontent la lutte, la résistance, les bouleversements que ce conflit a provoqué dans leurs vies. La mise en scène enchante les voix, chorégraphie les corps, rythme les gestes répétitifs au son d’une musique entraînante. Pas de misérabilisme, pathos ou regard défaitiste. Ici, on fabrique du glam, du sensuel et du luxe. On compose des chants de résistance à partir des hits qu’on écoute à la radio, on lutte. On vit tout simplement. Dans un décor sobre et froid, peignant rigoureusement un atelier de confection de lingerie fine, les comédiennes et le musicien interprètent avec brio l’histoire de ces femmes, appelées aujourd’hui «?Les Lejaby?», combattant pour la sauvegarde de leur emploi mais aussi pour rester vivantes et dignes.”

Etre en lutte c’est aussi faire grève. Cela nous le rencontrons chez La Ribot  PARAdistinguidas. Chaque pièce est numérotée. Ainsi elle pourra être mise en vente auprès de collectionneurs qui auront accès à la vie de leur œuvre. Le travail de La Ribot interroge la place de la danse sur le marché de l’art. Sur scène, un échafaudage surplombé d’un petit bureau vitré voit tour à tour les danseurs venir s’asseoir derrière une machine à coudre. La notion de relais est forte dans ce spectacle où les morceaux s’enchainent, se chevauchent, se mélangent.

En ce moment, le Centre Pompidou propose un focus Hors Pistes qui se concentre sur la revolte. Ce weeekend,  la chorégraphe Anne Collod  a recrée le samedi 30 avril The Blank Placard Dance, la performance mythique d’Anna Halprin.Créée en 1967, dans les rues de San Francisco, cette vraie-fausse manifestation réunissait une vingtaine de performers brandissant des pancartes vierges. Rien à revendiquer en particulier, c’était aux passants, abasourdis face à cette étrange procession, de suggérer contre quoi ou en faveur de quoi protester. Et, des années 60 aux années 2000, des mouvements des droits civiques ou nouveaux mouvements sociaux, des mots et des maux les badauds ont en beaucoup à déclarer.

Amélie Blaustein Niddam, Christophe Candoni, Marianne Fougère et Geoffrey Nabavian

Crédit photo :© Marion Poussier

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