Théâtre
« Interview » : réflexion scénique sur les interviews d’aujourd’hui

« Interview » : réflexion scénique sur les interviews d’aujourd’hui

26 October 2017 | PAR La Rédaction

Nicolas Truong a conçu et mis en scène « Interview » aux côtés de deux comédiens : Nicolas Bouchaud et Judith Henry. Née du festival d’Avignon, cette pièce fait vivre les rites intégrés par les journalistes, réalisateurs ou autres habitués de l’exercice. Ils jouent avec la matière qu’est l’entretien, pour une réflexion dynamique sur un métier pressé par l’air de son temps.

Par Sophie Allemand

Nicolas Truong est responsable des pages Idées-Débats au Monde. En 2013 déjà, il collaborait avec Nicolas Bouchaud et Judith Henry. Ensemble, ils mettaient Projet Lucioles en scène : un assemblage de textes de philosophes contemporains. Ils se retrouvent cette fois autour de l’entretien.

Qu’est-ce qui fait un bon ou mauvais entretien ? Un bon ou mauvais intervieweur ou intervenant ? Ces collaborateurs artistiques sont partis à la rencontre de célèbres intervieweurs, autour d’un dîner ou d’un verre : ils ont interviewé l’intervieweur. En les écoutant et en les enregistrant, ils se sont imprégnés de leurs expériences. Edgard Morin, Régis Debray, Florence Aubenas, Jean Hatzfled puis Claudine Nougaret et Raymond Depardon se succèdent sur scène et nous adressent leur vision de la pratique.

D’emblé, le trac que peut ressentir l’interviewé est palpable, incarné par Judith Henry. Invitée sur un plateau télé, elle est mal-à-l’aise : « le genre de l’entretien, j’avoue que je ne le connais pas ». Elle devra vite se recentrer, car bientôt elle sera en direct. L’intervieweur la rassure et l’enjeu de la pièce est posé : l’entretien que l’on a l’habitude de voir est une façade.

De l’affrontement à la conversation

De bout en bout, le public est interpellé. Nicolas Buchaud se ballade avec un énorme nagra que tient sa coéquipière. Le fil de ce matériel d’enregistrement radio passe dangereusement au dessus des spectateurs.

« Êtes vous heureux ? », demande-t-il aux spectateurs. Seul un fade et timide « oui » est entendu. L’instant est un miroir de l’enquête menée par Edgard Morin et Jean-Paul Rouch dans le film Chronique d’un Été. En 1960, deux jeunes filles posaient la même question à des passants, des extraits sonores du film sont diffusés dans la salle. Cette fois, ce micro-trottoir a lieu dans un théâtre, en 2017, époque où « la difficulté de vivre est beaucoup plus répandue », selon Edgard Morin.

Ces questions sont si directes qu’elles brutalisent : l’interviewé se transforme en victime. Alors, on comprend : une interview mal faite se rapproche de l’agression verbale. En écho à cette victimisation de l’interviewé, la journaliste Florence Aubenas apparaît. Elle explique se mettre à la hauteur de la personne qui lui répond : « moi, j’estime qu’on doit pouvoir me renvoyer la question ».

Un métier que l’urgence formate

La recette d’une bonne interview ? « Il faut du temps, de la patience et de l’empathie » pour instaurer une confiance, selon Edgard Morin. Raymond Depardon et Claudine Nougaret ont tourné La Vie Moderne, un film sur le quotidien réel des paysans. Le couple a passé dix ans à les écouter dans leur ferme et leur cuisine. Selon les réalisateurs, la présence d’une femme et d’un homme met les gens en confiance … Pour de meilleures réponses et moments capturés.

Jean Hatzfeld, reporter en immersion sur la guerre au Rwanda, considère qu’ « une bonne interview, c’est une interview pour laquelle on ne connaît pas les réponses ». Il faut se laisser surprendre, ne pas se laisser happer par le « bon client », notion racontée par Florence Aubenas. La journaliste parle de « Tarzan », un routier qui avait le talent de savoir répondre … Tous les journalistes allaient le voir, faisant de lui le symbole de tous les routiers sur les ondes : « on tombe dans le côté casting. Le travers des journalistes, c’est de trouver ce qu’ils cherchent ».

Le malheur est donc directement posé sur la plupart des journalistes d’aujourd’hui. Ceux qui n’ont pas le temps d’être curieux, ceux qui ont besoin de questions et réponses formatées. Information en continue sur le web, à la radio ou à la télévision … La parole est devenue un bien, une addiction urgente subie par les journalistes, limités par le temps. L’instantanéité de l’information bouleverse la parole et l’humain.

Interviewer ou jouer, le but  est de communiquer

La parole est la matière première de la scène et des médias. Face au comédien qui interprète un rôle, on pourrait s’attendre à ce que la parole la plus réelle soit celle que les journalistes communiquent … Dans Interview, la matière offerte par leurs locuteurs est reprise par les comédiens, qui en gardent chaque mots et hésitations.

Nicolas Bouchaud et Judith Henry incarnent le discours qu’on leur a tenu. Contrairement à la télé, la radio ou la presse écrite, la parole ou l’image n’est pas modifiée. Paradoxalement, au théâtre, le propos est reproduit et n’en ressort que plus authentique. Car malgré la volonté d’objectivité des journalistes, l’interprétation est inévitable : le travail du son et de l’image sert le propos, la retranscription de la parole la rend plus lisible, plus attractive. L’objectivité pure n’existe pas, l’authenticité de la parole si.

Une pièce que chaque intervieweur devrait aller voir, soit pour se rappeler qu’il pratique un beau métier, soit pour remettre en question sa manière de pratiquer cet art.

L’équipe :

Kathleen Evin : productrice

Lauranne Thomas : réalisatrice

Claire Teisseire : attachée de Production

Djubaka : programmateur musical

Corinne Hadjadj, assistante artistique pour des compagnies de danse contemporaine mais encore ?
Les Pussy Riot protestent contre l’incarcération des prisonniers politiques à la Trump Tower
La Rédaction

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration