Théâtre
Incendies de Mouawad par Nordey : Quand l’indicible se fait verbe

Incendies de Mouawad par Nordey : Quand l’indicible se fait verbe

08 May 2012 | PAR Christophe Candoni

« Incendies » est le deuxième volet de la Trilogie « Le Sang des promesses » écrite par Wajdi Mouawad. L’auteur a proposé sa  propre mise en scène de la pièce, notamment au Festival d’Avignon où il était artiste associé en 2009. La version présentée au Théâtre des Quartiers d’Ivry est celle de Stanislas Nordey. Son geste théâtral et sa direction d’acteurs se distinguent par ce qu’ils ont de plus brut, de plus nu. Les mots y occupent le premier plan. La parole s’accomplit dans sa projection et son adresse directement frontale au public. Les acteurs y sont magnifiques. On a assisté à une quête brûlante qui marque profondément.

« Il y a des vérités qui ne peuvent être révélées qu’à la condition d’être découvertes ». C’est sur ces mots que s’achève la représentation d’« Incendies » d’une densité et d’un souffle incomparables. C’est aussi sur ces mots que trouve la résolution de la quête d’un frère et d’une sœur jumeaux partis presque malgré eux sur les traces du secret de leur propre naissance, sur le route d’un passé inconnu, celui de leur mère décédée. La pièce commence dans le bureau d’un notaire fantasque et bonhomme, délicatement drôle dans la composition toujours sensible et empathique de Raoul Fernandez. La lecture du testament de la défunte fait l’effet d’une bombe. Jeanne et Simon découvrent qu’ils ont quelque part, mort ou vivant, un père et un frère et qu’ils doivent aller retrouver selon ses dernières volontés pour leur déposer une lettre chacun. Elle choisit de chercher, de savoir. Il est plus rétif, sa première réaction obstinée est celle de l’injure et la révolte mais il finira par faire le pas lui aussi.

Leur histoire, captivante et émouvante, se déploie largement dans l’espace et dans le temps. Leur chemin traverse l’Orient et l’Occident, mais aussi le passé et le présent qui s’entremêlent puisque le personnage central de la mère, dont on découvre simultanément le parcours, est interprété par trois merveilleuses actrices à trois âges de la vie de Nawal. Les atrocités de la guerre, la perte, l’absence, les liens du sang, l’incommunicabilité, la filiation, la mémoire, l’origine sont autant de thèmes chers à Mouawad et tous se recoupent et s’entrechoquent dans cette pièce qui bouleverse.

Le bel espace, extrêmement dépouillé, que propose le scénographe Emmanuel Clolus est une sorte de « non décor ». C’est à l’intérieur de cette zone on ne peut plus neutre et délimitée par de hauts murs blancs vieillis que les personnages courent dans leur itinérance. Rien n’est figuré. Il ne s’agit à aucun moment d’imposer des images mais de les susciter par le discours même. La force du spectacle vient d’un équilibre tenu entre la langue au lyrisme débordant, le ton parfois mélodramatique de Mouawad et son exact opposé, le langage formaliste de Nordey.

Le résultat est un choc hypersensible qui ne tombe  jamais dans la sensiblerie ou le sentimentalisme. Claire ingrid Cottanceau, Raoul Fernandez, Damien Gabriac, Charline Grand, Frédéric Leidgens, Serge Tranvouez, Julie Moreau, Véronique Nordey, Victor de Oliveira, Lamya Regragui sont tous des acteurs impériaux. Ils se livrent émotionnellement comme rarement dans une configuration qui implique une proximité inhabituelle avec les spectateurs. Ils sont postés presque constamment en avant-scène, face à nous, les yeux gonflés et rougis de larmes, dans une énergie tendue à l’extrême et combative. Ils ouvrent sans débordement ni démonstration leurs plaies, se déchirent et se consument. L’émotion retenue avec exigence reste difficile à contenir et du coup exacerbée, ce qui rend le spectacle véritablement brûlant, incendiaire. Ce théâtre là nous parle intimement, trouve les mots justes pour dire l’au revoir difficile à l’enfance et le rôle à prendre et à jouer sur le destin et dans le monde. Il est tout autant poétique que politique, il est merveilleusement humaniste et réveille notre besoin d’utopie.

Photo : Brigitte Enguerand

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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