Théâtre
HIKIKOMORI: Joris Mathieu questionne la civilisation des images

HIKIKOMORI: Joris Mathieu questionne la civilisation des images

21 January 2016 | PAR Araso

Le Théâtre Monfort présente dans le cadre du parcours Enfance et Jeunesse la nouvelle création de Joris Mathieu et sa compagnie Haut et Court: Hikikomori-Le Refuge. Portée par un dispositif scénique innovant et conceptuel, la pièce traite de la douloureuse question de l’enfermement et de l’isolement face à la confusion née de la prolifération des images, physiques ou mentales. Un spectacle qui met en scène technologies et nouveaux moyens de communication. 

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Joris Mathieu dirige depuis 1998 la compagnie Haut et Court à Lyon. Ses créations sont caractérisées par l’exploration d’une multiplicité de supports visuels et techniques, incluant les illusions d’optique, nouveaux médias et machinerie traditionnelle. Soucieuse de son interaction avec le jeune public, la compagnie développe pour lui des créations ad hoc.

C’est dans ce cadre qu’est née la pièce Hikikomori – Le Refuge, portée par un dispositif scénique unique. Le public est plongé dans l’obscurité et équipé d’un casque. Au milieu d’un plateau aux tonalités métalliques, un écran permet tantôt de relier les personnages à la nature extérieure, tantôt au spectateur de faire une incursion dans l’intimité des protagonistes. Trois types d’histoires se racontent: l’une à l’attention des 8 à 12 ans, l’autre à l’attention des 12 à 17 ans, la dernière pour les plus de 17 ans. C’est précisément sur cette version qu’est fondée notre analyse.

Tandis que les comédiens sur scène portent un casque afin de permettre à leurs personnages de s’isoler, se recentrer et avoir accès à leur for intérieur, le public le revêt pour accéder à la performance. Un exercice d’isolement collectif qui a paradoxalement pour but avoué d’être participatif et fédérateur.

Dès lors, l’usage que fait Joris Mathieu de ce dispositif pose toute une série de questions fondamentales sur le fonctionnement de la civilisation moderne et sa culture. Le théâtre peut-il échapper à la société des écrans? Porter un casque et s’isoler dans la bulle de ses écouteurs est-il le nouveau moyen d’être ensemble? Est-ce la voie royale pour expérimenter? A-t-on envie d’un théâtre YouTubisé, où se trouve reproduite, comme dans le monde extérieur, la déferlante des images de synthèse? A quand le théâtre Ipad à la main? La meilleure façon de conquérir le jeune public est-elle d’utiliser les nouvelles technologies? Cette perception de la jeunesse n’est-elle pas réductrice?

Comme dans certains régimes totalitaires, les comédiens sont intégralement vêtus de rouge et de gris. La pièce compte trois protagonistes: un couple et leur enfant Nils, qui reste hors champ durant toute la première moitié de la pièce. A l’instar des Hikikomori, Nils s’est enfermé. Ces adolescents japonais vivent coupés du monde et des autres, dans leur chambre, cloîtrés chez leurs parents avec qui il refusent toute communication pendant une durée pouvant atteindre plusieurs années. Nils ne communique qu’avec sa mère, par des coups frappés sur la porte ou des notes glissées dans l’interstice.

Seule la voix off du père et ce qui s’affiche sur l’écran central, tel un oeil gigantesque, donne au public des informations de contexte. Ce qui est fou, c’est que comme dans la vie version 3.0, on échange davantage à travers la solitude d’un écran et/ou d’un casque que lorsque les protagonistes sont ensemble dans la même pièce. Magnifique métaphore du monde moderne.

L’atmosphère est malsaine, plombée, la plupart du temps plongée dans un profond désert de paroles et une temporalité ralentie. A un certain point on ne sait plus, de Nils ou de son père, qui prête sa voix au narrateur. L’univers de la pièce étant en partie numérique, Nils a un avatar qui apparaît, disparaît et se métamorphose. A la fin, il est difficile de ne pas voir dans le schéma narratif une référence explicite au Lost Highway de David Lynch (#NoSpoilerAlert).

L’isolement, la civilisation des images, les écrans, sont omniprésents. En miroir se pose la question de la nature. Ainsi, si le salut de l’individu, ce “refuge” compulsif, semble résider dans l’isolement, symbolisé par le casque, celle de l’humanité résiderait, elle, dans un retour à la nature… On brûle d’envie que Joris Mathieu aille au bout de son propos.

Visuel © Nicolas Boudier

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