Théâtre
Hamlet, dans la rage des détenus du Centre Pénitentiaire Avignon-Le Pontet au Festival d’Avignon

Hamlet, dans la rage des détenus du Centre Pénitentiaire Avignon-Le Pontet au Festival d’Avignon

21 July 2017 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Depuis 2015, Olivier Py anime stages et ateliers au sein de la Prison d’Avignon-Le Pontet. L’envie démente de jouer hors les murs était si forte que le directeur du Festival d’Avignon a rendu possible l’impossible. En réalité, il a rendu possibles les impossibles : faire sortir des détenus et les transformer en comédiens. 

C’est un miracle donc, un vrai. Monter Hamlet avec des détenus, cela parait impensable, et pourtant…On arrive en se disant que l’on y va pour le geste plus que pour le fond. Quelle erreur ! Si vous avez la chance d’avoir été tiré au sort le 1er juillet, (les conditions très particulières ne permettaient pas une billetterie normale), vous allez assister à du théâtre hyper construit et à une direction d’acteurs parfaite.

Ils s’appellent  Andria, Choukri, Hakim, Jean-Michel, Maamar, Paulu, Pierre-Eric, Sylvain, Yannis et Youcef. On ne connait pas leurs noms de famille, on ne connait pas non plus leurs crimes et leurs peines.  Ils arrivent sur scène en ligne devant nous, en costume noir. L’image est glaçante. Le décor de Pierre-André Weitz se constitue d’une peinture baroque qui coule du mur à la scène et de 9 chaises.  On ne sait rien d’eux à part une chose : ces mecs-là sont des acteurs, pas des amateurs.

Jouer Hamlet quand on fréquente la violence est une évidence. Dans leur bouche le texte n’est pas joué, il est délivré, il se fait entendre. On rit franchement quand des allusions au statut de bandit arrivent : “Je sais que tu n’es pas un délinquant !” Effet assuré ! On est saisi quand Hamlet mime un pistolet.

Ce qu’Olivier Py, assisté d’Enzo Verdet, a réalisé est une mise à distance de ces hommes par rapport à leur statut de prisonniers. Ils peuvent en rire, ils peuvent jouer des femmes, ils peuvent se toucher, ils peuvent s’allonger par terre. Cette confiance magnifique allouée au metteur en scène est émotionnellement très chargée.

Très vite, ce qu’il se passe, c’est le surgissement du théâtre. De la même façon que Py avait monté si sobrement les pièces d’Eschyle, il permet de montrer le texte. On assiste donc à une magnifique version d’Hamlet. Le personnage est campé par Jean-Michel, aux bras tatoués. Il a une présence scénique digne des plus grands et son regard, ainsi que ses postures, filent des frissons. Ce qu’il se passe, c’est que l’on regarde la pièce, normalement,  et que l’on entend, vraiment.

La relation à l’Europe, au pouvoir, à la trahison, prennent un sens d’une actualité sociale déroutante. Ces comédiens-là savent se placer, savent dire sans déclamer, savent jouer la colère sans crier.

“Certains acteurs ne sont pas des acteurs”.  Et dans cette mise en abyme où Hamlet fait mettre en scène l’assassinat de son père par son oncle, tout prend une charge politique particulière. Py s’amuse à faire sonner les trompettes du Festival en prison et il a raison. Ces gars-là portent en eux une violence qui, transformée en théâtre, vaut de l’or, tellement elle devient utile et belle.

Olivier Py a montré ici son acharnement en arrivant à réaliser un projet en gestation depuis deux ans. Il prouve son intelligence et l’utilité politique de la culture. Ces hommes-là seront changés à vie après cela, il les a sauvés. Oui, c’est cela, Hamlet est un miracle et constitue le geste le plus fort et le plus engagé du directeur du Festival d’Avignon.

Visuel :  (c) Christophe Raynaud De Lage

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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