Festival Le Standard Idéal 1 : Samuel Finzi, exceptionnel fou de Gogol
Au Deutsches Theater de Berlin et pour quelques dates à la MC93, l’acteur Samuel Finzi joue en solo et met en scène avec Hannah Rudolph le Journal d’un fou. Il porte le texte de Gogol, donné en allemand surtitré et en français impeccable, avec une présence scénique et une puissance de jeu incroyables. Il nous emporte comme un voyage sur les chemins sinueux de la déraison. Une performance.
Le texte de Gogol se présente sous la forme d’un journal écrit à la première personne. Il est évident que cette nouvelle est aussi un sacré monologue de théâtre. Encore faut-il un acteur pour incarner les errances mentales du locuteur et se lancer sans retenue dans cette éclatante diarrhée verbale. Samuel Finzi réalise cette performance et c’est un grand acteur que l’on découvre. Après un étonnant début qui créé la confusion dans la salle, il monte sur le plateau comme par effraction et prend le pouvoir, dévore l’espace et le rôle, gagne en puissance à mesure qu’il s’enfonce dans le délire.
Pas de décor ni d’artifice, tout repose sur le travail de l’acteur qui joue devant le rideau de fer sur une petite scène surélevée, un espace resserré, très proche des spectateurs, qui donne à voir l’enfermement psychique du personnage qui se libère progressivement. On est conquit par le jeu très « à l’allemande », c’est-à-dire pas seulement psychologique mais physique, turbulent, furieux, hallucinant, qui demande un investissement total et une technique infaillible,une solide construction, faite de ruptures surprenantes.
Né riche n’a pas suffit pour Poprichtchine, conseiller titulaire dans l’administration, petit bonhomme peu remarqué, jusque là sans écart, qui s’applique à ses fonctions subalternes de bureau (tailler les crayons du directeur) en rêvant d’échapper à sa condition. Il tombe amoureux de la fille du patron, elle n’est pas faite pour lui. Alors il trouve une voie déconcertante dans un imaginaire qui confine à la folie pour renverser l’ordre établi, cracher sur les directeurs et les généraux, casser les cases, les hiérarchies pesantes. Au début du spectacle, l’acteur met en pièces avec cœur une construction de lattes de bois qui finissent éparpillées comme un tas de débris sur le sol pour dire très justement la révolte sociale du personnage.
En lisant les journaux, il apprend que le trône d’Espagne est vacant. Son rêve de grandeur trouve enfin un sens, il se déclare Ferdinand VIII, roi d’Espagne. Avec un humour ironique, il mime Napoléon, la main entrée dans l’ouverture de sa chemise, ou le matador dans l’arène pour exprimer la mégalomanie illusoire du personnage. Difficile de décrire les mimiques et les expressions hilarantes de l’acteur clownesque qui développe un comique de geste vif, nerveux, délirant qui n’est pas sans rappeler les plus grands interprètes du genre de Chaplin à De Funès. Jamais il ne s’agit pas d’effets racoleurs car tous trouvent leur sens et participent à la déréliction corporelle et mentale du personnage qu’il incarne.
C’est très drôle et en même temps le spectacle laisse un goût âpre et rude. Car on assiste à une extériorisation inquiétante de la violence contenue d’un homme banal. La représentation progresse dans une frénésie, une brutalité frappante. Ligoté sur une chaise ou se jetant tout entier contre le mur, il crie « Emportez-moi loin de ce monde !», il veut fuir vainement la persécution et la répression ordinaires, devient pathétique comme un enfant qui n’a pas ce qu’il veut et blessé de ne pouvoir atteindre ses ambitions. Profondément humain.