Théâtre
Enjambe Charles – Sophie Perez et Xavier Boussiron – l’art du débordement corrosif au Théâtre du Rond-Point

Enjambe Charles – Sophie Perez et Xavier Boussiron – l’art du débordement corrosif au Théâtre du Rond-Point

19 September 2013 | PAR Smaranda Olcese

enjambe_charlesLe rire ravageur, impitoyable et contagieux de la Compagnie du ZEREP déborde les cadres de la représentation. Art contemporain, culture populaire, potins du monde du spectacle vivant et faits de société sont les ingrédients d’un mélange explosif qui fait de l’excès le fer de lance d’une proposition scénique  semant le doute et insufflant une énergie revigorante.


Au départ, une équation fantasque, incongrue, sibylline : Charles Aznavour + la poterie = Louise Bourgeois. Les vives impressions d’un dimanche après-midi passé chez cette papesse de l’art contemporain dans ses salons à New York agissent comme un acide corrosif, délitent la nostalgie en pacotille que les tubes de Charles Aznavour ressassent immanquablement. Le grand crooner national réveille des émotions bouleversantes et de grands sentiments vécus par procuration, sous l’emprise des industries cultuelles. C’est d’une manière burlesque, volontairement cocasse, grandement irrévérencieuse que Sophie Perez et Xavier Boussiron s’y attaquent. Leur approche espiègle prend dès le départ ses distances avec l’analyse froide des Cultural Studies. Un trop plein de matière, des affects, des réactions quasi-viscérales, des sons rythmés et rengaines régressives trouvent leur écho dans la texture grasse et humide de l’argile qui tourne inlassablement sur une roue de poterie dans un coin du plateau qu’une caméra vidéo met au centre de l’attention. La mécanique hypnotique s’enraye très vite, la glaise gicle, ses traces font tâche. Une poupée en bois, à l’effigie du célèbre chanteur de variétés devient rapidement insignifiante, dans un décor qui reprend les rondeurs organiques d’une pièce phare de Louise Bourgeois, La Destruction du père (1974). Le plateau de la salle Roland Topor du Théâtre du Rond-Point épouse les allures d’une grotte adipeuse, à la fois caisse de résonance et matrice monstrueuse d’un propos fulminant, furieusement prolifique. Les tics du monde de l’art, les personnalités faussement subversives du théâtre et de la danse contemporaine, l’hypocrisie et les bons sentiments d’une société qui se complait dans la tiédeur autosuffisante sont fustigés avec un humour cinglant.

enjambre1Les voyants passent très vite au rouge, la langue de bois est explosée avec brutalité. Le pathos déferle dans une performance haletante qui renvoie dos à dos, dans un magma bouillonnant de hurlements crachés dans un porte-voix, Dolto, Warhol, Michael Jackson, Cantat, Artaud, Picabia… Au pied d’une  poupée géante, informe et néanmoins très suggestive, au bord de l’enfantement, une Grande Odalisque emprunte dans une pose langoureuse les traits mutants de Hulk. Sophie Perez et Xavier Boussiron greffent des références savantes dans un imaginaire collectif colonisé par les séries Z, plongent sur les traces d’un Mike Kelley dans le débordement d’un geste qui pose les bases d’une expérience artistique borderline, terrible, exutoire, archétypale. Collaborateurs de longue date du ZEREP, Françoise Klein, Sophie Lenoir, Stéphane Roger se livrent à une performance endiablée, explorent les arcanes d’un théâtre endémique, ne laissent aucun répit aux spectateurs assaillis par un rire cru, où l’amusement laisse place à l’émoi incontrôlable qui présage le retour du refoulé.

 

photographies © Laurent Friquet

 

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