Théâtre

Dominique Pitoiset semble avoir peur de Virginia Woolf

10 December 2010 | PAR Christophe Candoni

« Qui a peur de Virginia Woolf ? » est pour beaucoup la plus culte des scènes de ménage au cinéma de Richard Burton et d’Elizabeth Taylor qui incarnaient à l’écran Martha et George en 1966. Cruelle, dingue, féroce, la pièce d’Edward Albee est un petit jeu de massacre du couple et des conventions portés par une société policée à outrance. La mise en scène de Dominique Pitoiset très en retenue est à voir au Théâtre de Sceaux.


Dans « Qui a peur de Virginia Woolf ? », le couple passe au scalpel et la société touteentière avec. Hasard de programmation, Thomas Ostermeier présente « Dämonen » de Lars Noren en ce moment à l’Odéon. Les deux pièces partagent une thématique commune : le couple en crise. On pense également au metteur en scène allemand, directeur de la  Schaubühne, pour le décor, très in et design, mais en moins élaboré. Un sol de verre lumineux, un canapé et des fauteuils blancs, un bar à alcool… l’ensemble représente l’intérieur chic et confortable d’un couple aisé de grands professeurs à l’université. Le genre de gens qui paraissent bien sous tout rapport aux yeux de tous et qui sont pourtant capables d’une monstruosité sans fin. Dans la pièce, ils s’adonnent à un petit jeu pervers et cruel d’humiliation et d’anéantissement de l’autre. Il est très tard lorsqu’ils rentrent d’une petite fête organisée sur le campus, ou plutôt d’une « putain d’orgie du samedi soir », enivrés de fatigue et d’alcool, la soirée est loin d’être finie car Martha a décidé d’inviter un jeune couple, un certain Nick, son collègue, beau mec, prof en biologie et sa petite femme. Ils ont beau s’être fixé les règles, ils se laissent avoir et en ressortent démolis. Les flèches acérées trouvent leur cible et le dialogue va très loin dans la méchanceté ce qui est assez jubilatoire. Le combat est sans pitié.

Nadia Fabrizio est une Martha trouble, déroutante, une femme belle, à l’autorité froide, revêche, acariâtre, séductrice et ravagée. L’actrice est formidable car elle joue sans concession, n’épargne pas la part sombre du personnage. Elle est dure, pleine de ressources et si vulnérable. Il voit dans son jeu de la colère et de la souffrance, de la solitude, de l’ennui.

En revanche, l’intelligence redoutable de George, manipulateur cynique, se dilue dans une mollesse trop prononcée par un Dominique Pitoiset effacé qui se montre distant, peu investit dans le jeu, apparemment intouchable, insensible. C’est sa vision du personnage mais le duo se trouve déséquilibré. Il signe aussi la mise en scène et celle-ci nous paraît bien sage, peu  radicale, en deçà du texte. Ça pêche par manque de rythme et d’électricité.

Sans être dérangé ou inquiet par ce qui se joue, on rit, assez franchement d’ailleurs, notamment grâce à l’interprétation de Deborah Marique. La jeune actrice joue Honey, la femme de Nick (Cyril Texier bien dans son rôle). Elle a bien compris qu’il n’y a pas de rôle ingrat, pas même un rôle aussi peu développé que le sien. Elle se distingue avec une certaine folie, une présence, un sens du comique. Elle fait une godiche géniale à la limite de l’hystérie. Ses répliques font mouche.

 

 

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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