Théâtre
Deux villes fantômes ou l’impossible voyage

Deux villes fantômes ou l’impossible voyage

04 June 2018 | PAR Cedric Chaory

Deux villes fantômes est une pièce de Nicolas Kerszenbaum (Cie franchement, tu) dont une lecture publique sera donnée le 11 juillet dans le Off d’Avignon.

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Deux villes : La Havane et Paris. Deux couples. Le couple cubain rêve d’aller à Paris. Mais n’ira pas. Le couple français rêve de partir à La Havane. Mais ne partira pas. Deux couples qui connaissent très bien leur ville et fantasment sur une autre existence possible, différente, plus riche, plus intense.

Paris, France.

Daphné et Simon, bobo-gaucho parisiens, s’aiment dans leur 25m2 Place des Fêtes. Nous sommes en 2002, quelques jours avant la Présidentielle où ils voteront Besancenot. Tous deux rêvent d’un voyage à Cuba et pourquoi pas d’une vie cubaine car « ici c’est catastrophique ! ». Lui travaille au Bario Latino, elle, elle apprend la salsa. 5 ans plus tard, le « nain » est réélu au grand dam de Daphné. Elle est enceinte mais hésite à garder le bébé. Simon s’en offusque.Les rêves de danseuse de Daphné se sont enfouis le jour où elle a rejoint la plateforme téléphonique d’Europe Assistance. Quant à celui de visiter Cuba, il s’évente lui aussi. 2018 : séparé depuis 8 ans, le couple se retrouve Place des Fêtes. Simon s’apprête à rejoindre une marée que l’on espère autant humaine qu’insoumise, quand Daphné veut revoir une dernière fois son ancien nid d’amour. Sous l’ère Macron, elle a fait un beau mariage sur l’île de Ré et prospère avec son business de blogueuse-influenceuse. Cuba ? Ultra-tendance et idéal pour un shooting mode pour elle, relégué aux vieux souvenir pour lui. Tout comme l’amour de ces deux parisiens, les idéaux du Che n’ont pas résisté à l’ultra-libéralisme. Daphné et Simon n’iront jamais à Cuba.

La Havane, Cuba.

Camillo et Adelaïda, francophiles quadragénaires, vivent à La Havane, « ville amnésique ». Guide touristique pour l’un, traductrice pour l’autre, ils projettent d’aller en juillet à Paris, cette ville-lumière qui faisait tant rêver déjà le grand-père d’Adélaïda. Ce dernier était considéré comme le Cartier-Bresson de La Havane, lorsque celle-ci attirait le tout Saint-Germain-des-Prés et les plus libertaires d’Hollywood. Alors que Paris veut consacrer une exposition à son aïeul de photographe, Adelaïda hésite à vendre les quelques clichés qui pourraient financer le voyage tant désiré du couple vers l’Europe. A-t-elle le droit de vendre son patrimoine ? Que vend t-elle d’ailleurs en bradant ces photos sépias d’un Cuba disparu ? Et A-t-elle seulement existée cette Havane surannée que Sartre et Beauvoir aimait tant ? À force de tergiversation, le couple ne quittera jamais son île si ce n’est pour barboter quelques centaines de mètres loin de la rive du Malecon.

Après leur résidence à la Maison Maria Casarès en Charente et au Centre Intermondes de La Rochelle , l’auteur cubain Norge Espinosa et le metteur en scène Nicolas Kerszenbaum (tous deux sur la photo) ont proposé au public de La Coursive une sortie de résidence en forme de lecture publique de Deux villes fantômes le 28 mai dernier.

Projet d’écriture croisée entre Cuba et la France

Deux villes fantômes confronte deux visions du monde sur un ailleurs tout en posant un regard sur les relations Nord/Sud. L’œuvre en cours de création questionne le fantasme de l’ailleurs qui se loge dans tout voyage en confrontant les plumes si différentes de ses auteurs. Quant Nicolas Kerszenbaum choisit de séquencer son histoire en trois temps politiques, toutes situées autour du joli mois de mai (ceux présidentiels de 2002 et 2005 et des grèves de 2018), Norge Espinosa préfère concentrer la sienne dans une unité de temps et de lieu. Quand l’auteur français dessine en creux le portrait d’une femme libérée qui choisit l’avortement pour, entre autre, s’épanouir professionnellement, son compère cubain dépeint la société machiste de son île où la femme n’a plus voix au chapitre depuis les premiers souffles de la Révolution.

Dans un subtil jeu de ping pong, les textes des deux auteurs se répondent : à travers Victor Hugo et la salsa notamment, rendant encore plus sensible leur tonalité. Les auteurs esquissent ici deux visions de voyage inabouti et posent en filigrane cette question : quelle forme de voyage reste t-il aujourd’hui ?

Si voyager s’accompagne toujours de fantasmes qui nous empêche bien souvent de découvrir un pays avec un regard neuf, le voyage est-il encore possible ? Oui à condition de se débarrasser de sa propre perception du monde pour se laisser porter par la totale découverte de l’autre. Daphné, Simon, Camillo et Adelaïda n’y étaient pas préparés. Trop accaparés par leur désir de couple, et leur irrépressible besoin de s’affirmer, trop affairés à trouver un sens à leur vie.

En novembre prochain aura lieu, à La Havane, la première de Deux villes fantômes, soit deux pièces courtes de 30 minutes chacune, qui se jouent l’une après l’autre dans la même scénographie sommaire et radicale. La lecture publique qui fut donnée à La Coursive donne envie de poursuivre le voyage avec ses quatre protagonistes.

Avant cela, il sera possible aux festivaliers d’Avignon de découvrir cette pièce en gestation en se rendant à une autre lecture publique le mercredi 11 juillet au Théâtre Onze à 17h (11 Boulevard Raspail, 84000 Avignon).

Cédric Chaory.

 

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