Théâtre

Deux femmes incarnent l’enfant-soldat de Kourouma au Lucernaire

22 November 2009 | PAR Yaël Hirsch

Jusqu’au 3 janvier, la compagnie Pied de la route et la compagnie de l’Antre-deux mettent en scène le texte d’Ahmadou Kourouma, “Allah n’est pas obligé”, (Seuil, prix Renaudot et Goncourt des lycéens 2 000) au théâtre du Lucernaire. Relevant le pari d’incarner le texte fort de l’auteur ivoirien sur la vie d’un enfant-soldat, les deux actrices blanches et adultes pirouettent avec génie les aventures terribles de Birahima entre le Liberia et la Sierra Leone.

allah-affiche1Birahima est à peine pubère et il a cependant une longue vie de deuils, de batailles et de sang derrière lui. Muni de pas moins  quatre dictionnaires, il entreprend de raconter sa vie dans une langue compréhensible pour un public blanc, et éloigné des massacres dont il a été témoin. Mais, parfois dans l’enthousiasme du récit, certaines injures “nègres noires africaines indigènes”. Après s’être présenté en 6 points, où il se présente comme maudit à cause de sa mère morte d’un ulcère à la jambe, et considérée comme une puissante sorcière, il retrace son parcours d’orphelin à la recherche de sa tante au Liberia puis en Sierra Leone. Il décrit comment la condition d’enfant-soldat est pour lui la plus souhaitable, peu importe pour quel chef de tribu : car “Allah n’est pas obligé d’être juste dans les choses qu’il fait ici bas”, il faut bien que tout estomac soit nourri, et un enfant de dix ans muni d’un kalachnikov a le droit de tout piller derrière lui. Emprunt d’une foi qui mélange étrangement l’animisme à l’Islam, l’enfant qui est à la fois victime et bourreau décrit avec des mots truculents son quotidien; il livre également des images de guerre, dignes d’un reportage de grand reporter, et explique avec ses mots simples mais éclairants les enjeux des combats tribaux au Liberia et la manière dont l’impératif démocratique rend en comparaison, la situation dans le Sierra Leone voisin, encore plus bordélique, meurtrière et corrompue.

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Afin de rendre hommage au texte foisonnant de Kourouma, le metteur en scène, Laurent Maurel, laisse deux femmes adultes blanches (Caroline Filipek, et Vanessa Bettane ou Tatiana Werner en alternance) jouer les aventures de Birahima. Ce choix permet aux comédiennes de se faire page blanche sur laquelle le spectateur peut imaginer le petit garçon qu’il désire. Renforcés par des images tour à tour didactiques ou évocatrices, et une musique volontiers stridentes, les pirouettes et les emboitement des deux femmes rendent justice à l’énergie troublante de l’enfant-soldat et leur sourire volontaire laisse imaginer le pire, derrière les mots d’humour, et les questions dérangeantes d’une petit garçon à la fois victime et assassin. Un spectacle où l’on retient son souffle et auquel on réfléchit encore longuement, une fois le rideau tombé. A voir absolument, et pourquoi pas avec ses enfants, l’horaire (18h30), le permettant…

A noter : mercredi 25 novembre à 20h, à l’issue de la représentation, débat avec Lucien Badjoko et l’association Univerbal /enfants-soldats.com, au bar de l’Avant-Scène au Lucernaire.

Allah n’est pas obligé”, d’après le roman, de Ahmadou Kourouma (1927-2003), mise en scène de Laurent Maurel, avec Caroline Filipek,Vanessa Bettane ou Tatiana Werner, Théâtre du Lucernaire, 53, rue Notre dame des Champs, Paris 6e, m° Vavin, mar-sam 18h3, dim, 17h, réservation : 0142226687.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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