Théâtre
« Les Curieuses » n’ont peut-être pas un si vilain défaut, ou si Barbe Bleue m’était conté avec un gant Mappa

« Les Curieuses » n’ont peut-être pas un si vilain défaut, ou si Barbe Bleue m’était conté avec un gant Mappa

17 April 2018 | PAR Mathieu Dochtermann

Les Curieuses est un spectacle de la compagnie Agathe Dans Le Vent. Se servant d’une table comme principal espace de jeu, il s’agit d’une adaptation en théâtre d’objets et en jeu de comédien du conte de Barbe Bleue. Une adaptation réfléchie, qui offre, au premier degré, une savoureuse promenade au travers de tableaux bien connus, relevés d’une grande rasade d’exagération burlesque. Mais à mesure que l’histoire boucle et déraille, les symboles se font plus évidents, et les significations se développent. 30mn de concentré d’énergie et d’inventivité qui ne laissent pas indifférent les spectateurs des ApéRoches à Montreuil.
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Une large table. Une comédienne en robe blanche. Une cage à oiseaux. Quelques menus objets de la vie courante – des gants de vaisselle, une pomme, une clé… – et une bande son bien choisie. Il n’en faut pas plus à Delphine Delafosse de la compagnie Agathe Dans Le Vent pour ré-inventer, avec la complicité du public, le conte de Barbe Bleue.

Trois fois, le motif de l’histoire est répété. A chaque itération, la nouvelle épouse – à moins qu’il ne s’agisse symboliquement de la même, puisqu’elle est, après tout, toujours incarnée par la même personne portant les mêmes vêtements – va un peu plus loin dans son émancipation face au terrible Gant Mappa Bleu qui campe la Barbe de la Même Couleur.

Car il s’agit ici de théâtre d’objets, en grande partie : si la – ou les – jeune(s) épouse(s) est effectivement incarnée par Delphine Delafosse, les autres personnages sont figurés par des objets, ou même, par la magie du théâtre, naissent d’une adresse de la comédienne à un personnage laissé à l’imagination des spectateurs. Si de nombreux ustensiles viennent aussi au support de l’action, ils ne sont que des accessoires, certes métaphoriques, mais parfaitement neutres dans leur rôle d’objets. Il ne faut cependant pas sous-estimer l’efficacité du procédé de la figuration de Barbe Bleue par un gant : cela lui confère une certaine ubiquité, et cela permet de souligner, dans des interactions qui confinent au dédoublement de personnalité et provoquent de nombreux éclats de rire, la nature ambiguë et duale du personnage, qui est aussi bien, au premier degré, le principal opposant de l’héroïne, et, à un autre degré, une représentation notamment de son Surmoi – c’est-à-dire d’elle-même e, dernière analyse.

C’est que Delphine Delafosse a réfléchi à son conte, avant de le détourner. Elle a étudié Estés, et Bettelheim, et elle s’en est faite son idée, qu’elle a délibérément amplifiée. C’est donc un récit libérateur, un récit d’exploration et d’accomplissement pour l’épouse qu’elle choisit de livrer en réécrivant cette histoire. Puis, parce qu’elle a parfaitement compris que la force d’influence d’un message est mieux servie quand elle est encapsulée dans une histoire adroite, elle a déployé un burlesque noir à partir des scènes horrifiques, comme des relations intimes du couple – difficile de ne pas rire quand la comédienne se harcèle elle-même de sa main gantée, même si le sous-texte n’en est pas moins clair, et prête beaucoup moins à sourire. C’est là un joli talent d’écriture : tout est grotesque, risible, délibérément surjoué avec la mesure qu’il faut pour ne pas dépasser la limite, mais tout est dans le même temps inquiétant, violent, sexualisé.

Inutile de dire, donc, que le spectacle offre du grain à moudre, surtout que toute cette folie se déchaîne dans l’espace de 30 petites minutes qui filent à toute allure. Delphine Delafosse fait montre d’une énergie explosive, d’une loufoquerie exquisément débridée, en même temps qu’elle maîtrise bien son jeu et le maniement de ses accessoires. Un habillage musical vient ponctuellement souligner les moments les plus dramatiques, ou les plus fous, de cette intrigue qui fait semblant de tourner en boucle. Le public est mis à contribution, en tout état de cause, mais on peut garantir que, même sans cela, il n’y aurait aucun risque qu’il s’endorme.

Sans doute le spectacle n’est-il pas à conseiller aux plus jeunes spectateurs : il y a peu à craindre qu’ils saisissent les sous-entendus sexuels qu’on trouve par exemple dans le va-et-vient d’une ventouse à déboucher, mais certaines scènes peuvent être impressionnantes, l’affrontement de la jeune épouse avec sa main gantée étant parfois particulièrement violent.

C’est un spectacle qui se représente aussi bien en salle qu’en extérieur, tellement son énergie est grande, mais on peut en perdre un peu si l’environnement est trop chahuté. Aussi bien, on déplore que certaines bribes du récit se perdent parfois dans les montées les plus paroxystiques de folie : là se trouve la limite de la clownisation du récit, la forme éclipsant par moments un peu trop le fond à notre goût, et ne laissant pas toujours bien le temps de l’intégrer.

Les Curieuses porte tout de même bien son nom, tant c’est un spectacle malin. Au premier degré, c’est un délice d’inventivité délirante, mais dès qu’on reprend une seconde son souffle et qu’on se donne la peine de gratter un peu, on y trouve des trésors enfouis.

Pour les curieuses – et les curieux ! – on peut découvrir ce spectacle les 29, 30, 31 mai au Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette à Paris pour la 12e édition du festival Scènes Ouvertes à l’Insolite.

De et avec Delphine Delafosse
Regard extérieur complice : Guilaine Philispart
Scénographie et régie générale : Vincent Schmitt
Production Cie Agathe dans le vent
Visuels : © Francois Bodart

Infos pratiques

Théâtre Petit Hebertot
Le Zèbre
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