Théâtre
Compagnie ADHOK : quatre pièces, deux générations, un grand moment

Compagnie ADHOK : quatre pièces, deux générations, un grand moment

21 July 2017 | PAR Simon Gerard

À l’occasion du festival Paris l’Été, la Compagnie ADHOK investit deux lieux de Paris — le Lycée Jacques Decour dans le 9ème arrondissement de Paris et la rue Paul Belmondo qui longe la Cinémathèque — pour livrer un double diptyque générationnel. C’est inventif, drôle et sensible. C’est léger, c’est en plein air. C’est estival et idéal.

Immortels : on veut parler de la jeunesse qui s’envole

Le premier diptyque proposé par la Compagnie ADHOK met en scène l’élan et l’envol d’une jeune génération. Ici, pas de jeunesse qui tombe : la joie et le dynamisme prennent systématiquement le dessus sur les doutes, craintes et angoisses qui ponctuent inévitablement les premières décennies de l’existence. La géométrie des pièces parle d’elle même : Le Nid est une élévation partant d’un point tandis que L’Envol est une avancée horizontale, en ligne droite. La succession de ces deux formes théâtrales dans deux lieux singuliers donnent à la jeunesse décrite une dynamique : celle d’un magnifique en-avant.

Le Nid : célébrer l’enfance, la quitter

Les jeunes comédiens de la Compagnie ADHOK accomplissent l’exploit de mettre en scène des moments fugitifs et extrêmement concrets de l’enfance et de l’adolescence dans lesquels le public tout entier parvient à se reconnaître — qu’il soit jeune parent ou vieil enfant. Les relations familiales tendres et conflictuelles, les premières fêtes et l’évolution rapide des goûts musicaux, la surprenante découverte de la puberté, l’alcool et ses premiers déboires, la drague et ses premiers échecs… Toutes ces intuitions de l’enfance sont mises en scène de manière protéiforme et fragmentaire. Il y a ces chœurs thématiques dans lesquels chaque comédien met ses mots, ses histoires et ses gestes sur un thème commun ; il y a ces corps adolescents qui se tendent, gonflent, émettent des claquements et poussent des borborygmes, comme autant d’instruments de musique dont les jeux mutuels accompagnent les premières parades nuptiales des amoureux en herbe… Les contorsions corporelles et les acrobaties de la troupe donnent d’ailleurs une dimension cartoonesque au spectacle, de même que la musique joyeuse — tout en cuivres ronflants et en violons virevoltants — qui l’accompagne.

Ils en prendront, du temps, ces incarnations de la jeunesse, à sortir de leur nid — un nid gigantesque, posé en équilibre sur un container au centre du plateau, fait de plumes et de branches, plein de bric à brac. Mais ils sauteront tous ensemble, s’adapteront rapidement — puis quitteront la scène. Pas d’inquiétude à avoir : ils ont pris leur envol, et le public les accompagne.

L’Envol : prendre la tangente

Cette génération que l’on a quittée plus tôt au Lycée Jacques Decour, on la retrouve le long de la rue Paul Belmondo sous un autre dispositif. Le public bienveillant l’a observée se débattre pour quitter le cocon de l’enfance ; il s’agit maintenant de les suivre dans leur course effrénée — parfois effrayée — vers l’âge adulte. Les conversations de vieux ados et les tentatives poussives de drague se font entendre aux tables des cafés. Les premiers entretiens d’embauche, passés avec une assurance maladroite, se confondent et se succèdent dans une cacophonie comique et maîtrisée. Les comédiens avancent par étapes dans la rue comme s’il s’agissait de la dernière ligne droite de leurs jeunes années.

Heureux hasard architectural : la rue Paul Belmondo est coupée de manière abrupte, stoppée net par un bâtiment qui fait face à la Cinémathèque. Magnifique image d’une jeunesse qui se retrouve face au mur alors que, quelques instants plus tôt, elle nous prenait littéralement par la main tout en nous faisant part de ses rêves et de ses projets. La pièce ne peut pas s’achever ainsi. Les jeunes s’échappent de leur ligne droite — au final un simple segment — et prennent la tangente. Dans un élan souple et collectif, à mi-chemin entre la course et le vol, les jeunes comédiens expriment une volonté pure et joyeuse, celle de leur génération. Entrer dans l’âge adulte ne signifie pas que l’on doive cesser d’être un enfant.

Échappées belles : vers l’infini avant l’au-delà

Pourquoi le mot jeunesse fait-il rêver, alors que l’évocation de la vieillesse ne cesse d’effrayer ? Pourquoi a-t-il fallu, comme pour réparer cette injustice linguistique, créer l’expression Âge d’or pour désigner les dernières décennies d’une vie bien remplie ? Toute la société occidentale semble emprunte de ce dégoût du vieux, que l’on campe parfois dans une maison de retraite — aussi excentrée des lieux de vie qu’un cimetière — pour s’en débarrasser. Vite, loin des yeux et loin du cœur ces premiers signes d’une détérioration physique et mentale auxquels nous sommes tous sujets ! Vite, administrons les vieux, mettons-les en rang, infantilisons-les, aseptisons leur vie en attendant que celle-ci s’achève. La vieillesse fait peur, et une sorte de fascisme unanimement toléré en assure la gestion. Ce constat est le point de départ d’Échappées belles, diptyque qui complète et achève l’ambitieux projet théâtral en quatre parties de la Compagnie ADHOK. On découvre avec une joie infinie que la vieillesse n’a pas dit son dernier mot.

Issue de secours : la révolte des sages

Une poignée de vieux surgit au coin d’une rue, les uns derrière les autres, des plateaux repas dans les mains. Le chant des oiseaux les stoppe net — plus tard, ce sera un rayon de soleil. Ils redécouvrent, émerveillés, une vie qu’ils semblent avoir perdue à partir du moment où ils ont franchi la porte de leur maison de retraite. Fin de l’anesthésie : les voilà de retour dans le cœur palpitant de la ville, en milieu de journée, entre la Cinématique et le parc de Bercy, au milieu de la vie. Se sont-ils égarés ? Se sont-ils échappés ? Peu importe, le théâtre les a faits renaître, et ils sont de nouveau vivants. Le public assiste à une libération.

Peu à peu, leurs membres engourdis se détendent, leurs gestes s’individualisent, leurs personnalités émergent, leurs langues se délient. Non seulement ces vieux parlent, mais ils parlent aux autres ; et non seulement ils parlent aux autres, mais ils ont des histoires à raconter. Le public les écoute, rit avec eux, s’étonne de leur fraîcheur — et s’étonne de s’en étonner.

Ragaillardis par leurs retrouvailles avec la liberté, le petit groupe veut s’assurer que l’on ne leur reprendra plus cette dernière. L’improvisation d’une Commune et le happening d’un lancer de plateaux repas est le point de départ symbolique de leur émancipation jouissive.

Point de fuite : un dernier coup de jeune pour la route

Dans Issue de secours, on avait quitté nos anciens dans l’émotion et le rire : ils s’échappaient à sept dans une 206 après avoir déclaré leur amour au public en le couvrant de baisers. On les retrouve un peu plus vieux qu’avant au Lycée Jacques Decour — là où la jeune génération d’acteurs de la Compagnie ADHOK avait quitté son nid un peu plus tôt. Les sept vieux sont réunis autour du prétexte d’un bon plat de fetuccini faits maison, et attendent qu’une voix là-haut les appelle pour « partir ». Cette angoissante possibilité d’un départ imminent est l’occasion pour chacun de se livrer entièrement et sous toutes les formes — de celle, classique, du témoignage, à celle, plus osée, du striptease rock’n’roll autour du thème d’Adam et Ève. Les personnages redoublent d’énergie et d’humour pour prouver tant aux spectateurs qu’à eux-mêmes qu’ils ne sont pas déjà morts à l’intérieur. Ce ne sont pas des plantes empotées et complètement desséchées. Ils sont capables de blaguer, de danser, de s’aimer. Et quand on les appelle de là-haut pour leur dire que leur temps est venu, ils sont encore capables de lancer un grand fuck you, couper le son, et continuer à jouer encore un peu.

Infos pratiques

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Simon Gerard

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