Théâtre
<em>Cambodge, me voici</em> : de la complexité des retrouvailles

Cambodge, me voici : de la complexité des retrouvailles

01 May 2012 | PAR Justine Hallard

Quatre femmes. Quatre destins. Mais un pays d’origine en commun : le Cambodge. Entre rires, nostalgie, sarcasmes et parfois dénuement, ces quatre femmes se content et se rencontrent devant un guichet fermé du consulat cambodgien à Paris. Quatre voix pour mieux exprimer toute la richesse et la complexité de ce pays aux plaies encore mal cicatrisées.

Cambodge, me voici est la toute première pièce du jeune auteur et metteur en scène Jean-Baptiste Phou. Un texte pour explorer sa propre identité, celle d’un Français d’origine cambodgienne, mais pour aussi appréhender au sens plus large la question du déracinement. C’est en donnant la parole à ces quatre femmes qu’il arrive tour à tour à mettre le doigt avec subtilité et humour sur les douleurs et les amputations de ces histoires de vie, mais aussi sur les fantasmes et clichés dont se nourrissent les occidentaux à leurs égards.

Ainsi, Mom, rutilante de paillettes et de pacotilles et au franc-parler déroutant, se cache d’artifices pour mieux tenter de dissimuler cette douleur, celle d’avoir survécu au khmers rouges, d’avoir connu les camps de travaux forcés et d’avoir fait partie de cette génération de Boat People aux yeux du monde entier – bien que ce soit en avion qu’elle fut arrivée… Mais le mal du pays aujourd’hui se traduit aussi par sa quête à devenir mère, en essayant de partir adopter son « petit bout de Cambodge ». Une petite fille à qui offrir l’enfance qu’elle n’a pas eue et qui saurait peut-être combler la brèche de cette souffrance ?

Sovandara, quant à elle, débarque tout fraichement du pays pour retrouver François, son Barang* de fiancé rencontré en ONG. Ces mêmes ONG devenues le poumon palliatif à l’insuffisance respiratoire du Cambodge. Elle aussi a connu « les évènements », synonyme du mot « génocide » qu’aucune d’entre elles ne prononce. Bien que toutes ces femmes ne soient que paroles, revendiquant un pays nouveau en reconstruction, à l’heure où les procès des anciens dirigeants khmers rouges commencent, 30 ans de silence n’ont pas permis le deuil et encore moins au mot « génocide » de se dire tout haut.

A contrario de Mom et Sovandara qui aiment en définitive éperdument leur terre d’origine, il y a la formidable et royale Metha, réfugiée politique d’avant l’heure, aujourd’hui totalement réticente à fouler de nouveau cette terre qu’elle n’a encore jamais revue. Elle n’a pourtant pas connu les « évènements », mais n’en souffre pas moins pour autant et vit depuis dans le rejet total de ce pays qui l’a vue naître. Sous son allure princière, elle aussi au fil de cette conversation fortuite, finira par laisser éclater, aux prises de ses propres contradictions, ce Cambodge qui sommeille en elle depuis si longtemps.

Et enfin, il y a Sophea, jeune et naïve, assoiffée de ses racines imaginées, celles que sa mère a tant voulu étouffer. Et c’est bien certainement derrière ce personnage que Jean-Baptiste Phou laisse crier son appel à lui du Cambodge. L’écho a semble t-il su résonner jusqu’au Mékong, puisque l’Institut français du Cambodge l’accueillera en résidence cet été afin de présenter la pièce – en khmer cette fois-ci – lors du festival international de théâtre Lakahon se tenant en septembre à Phnom Penh.

* Barang signifie Français en Khmer.

Sophea : Sonadie SAN
Sovandara : Ravie KHING
Mom : Roshane SAIDNATTAR
Metha : Roat Marie CHAYA

© Visuel : Dyna SENG

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Justine Hallard

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