Théâtre
« Battlefield » : master Brook dans l’essence du Mahabharata

« Battlefield » : master Brook dans l’essence du Mahabharata

16 September 2015 | PAR Amelie Blaustein Niddam

“Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre”. Les moins de quarante ans non plus d’ailleurs. Il y  a ceux, chanceux et heureux, qui ont vu, un jour de juillet en 1985, la Carrière Boulbon du Festival d’Avignon se parer des couleurs du Mahabharata, dans une adaptation de J.-C. Carrière. Aujourd’hui, Peter Brook et Marie-Hélène Estienne donnent à voir et à entendre un épisode de cette saga en dix-huit strophes.

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Un homme a tué, beaucoup. Sur le champ de bataille qui donne son nom au spectacle, il ne reste que des corps et du sang.  Dans une notion d’éternité, la cause de la guerre nous ramène immédiatement aux mythes fondateurs et aux textes grecs. Le poème Hindou nous parvient ici dans un anglais limpide. Nous sommes dans un paysage après la bataille, les frères Kauravas, emmenés par Duryodhana se sont violemment opposés aux Pandavas, dirigés par Yudishtira (Jared McNeill)

Yudishtira est saisi par le remord qu’impose l’acte de vivre avec la culpabilité des vivants. La question posée, ou plutôt, les questions que Peter Brook, 91 ans, pose dans ses spectacles, que ce soit dans The valley of astonishment ou dans Fragments est toujours la même : comment être au monde sans se trahir ?  Brook fait sans cesse la même réponse : par le vide.

En laissant l’espace nécessaire à une évasion de l’imaginaire, il raccroche au conte avec une technicité que seul lui maîtrise. Il ponctue son plateau de quelques bambous, et de beaux pashminas. Assis, côté cour, Toshi Tsuchitori, immense percussionniste et compagnon de route de Peter Brook depuis le début, vient marquer le tempo qui fera avancer l’histoire, les histoires.

Pour assumer ses gestes, Yudishtira devra composer avec les mots de sa mère (Carole Karemera), de son oncle (Sean O’Callaghan) et de quelques dieux du panthéon boudhique (Ery Nzaramba). Dans ce voyage initiatique, l’allégorie viendra éclairer son  chemin. Que ce soit la justice à rendre sur le compte d’un serpent où la tentative de suicide d’un ver de terre, tous les symboles les plus prosaïques viendront apaiser sa douleur.

Poème magique, allégorique, Battlefield vient par un engagement au plateau nous saisir par la pensée. Les comédiens agissent dans un équilibre trés fin et trés mesuré où, au bord du sur-jeu il touchent à l’absolue justesse, celle qui permet de voir sans montrer. Il en de même pour les éléments qui font décor au bon vouloir des mots qui les nomment.

Brook a imposé dès la publication de L’espace vide en 1968 une modernité radicale. Ce n’est pas étonnant de voir se côtoyer dans ce qui fut longtemps son théâtre, aujourd’hui dirigé par Olivier Mantei et Olivier Poubelle ses plateaux épurés et les trop-pleins réjouissant des Chiens de Navarre. Aux Bouffes le rapport à la scène ne nous laisse jamais indemne, redéfinissant toujours votre regard, votre écoute, et votre imagination.

Visuel ©: Victor Tonelli/ArtcomArt


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