Théâtre
Avignon Off : « Le Roman de Monsieur Molière », une pièce vive et enjouée

Avignon Off : « Le Roman de Monsieur Molière », une pièce vive et enjouée

23 July 2018 | PAR Magali Sautreuil

Après son survitaminé Revizor de Gogol et simultanément avec Le Double de Dostoïevski, également au Off cette année, Ronan Rivière a lu Boulgakov et présente son Roman de Monsieur Molière.

 

A-t-on encore besoin de présenter la vie et la carrière de Molière ? Il n’est de dramaturge davantage joué que lui. Difficile de surprendre le public dans ces conditions. Et pourtant, Le Roman de Monsieur Molière de Boulgakov, adapté et mis en scène par Ronan Rivière, parvient à nous étonner par son enthousiasme et ressuscite le temps d’une pièce le sieur Molière.

Mais pourquoi Molière nous fascine-t-il tant ? Est-ce en raison des nombreuses œuvres qu’il nous a laissées ou bien à cause de sa vie mouvementée ? Sûrement un peu des deux. Il faut dire que dès sa naissance, le 13 janvier 1622, Jean-Baptiste Poquelin essuie une tragédie. En effet, à peine né, les médecins lui ravissent sa mère. Rien d’étonnant à ce qu’il ait gardé une dent contre cette profession, qui le lui rendra bien, au seuil de sa propre mort. Le drame marqua son entrée sur la scène de la vie, la farce, sa sortie.

Oscillant entre gloire et revers, tragédie et comédie, son existence comme son œuvre connut maints rebondissements. Les problématiques auxquelles il fut confronté nous frappent par leur actualité : les salles vides, les problèmes d’argent, la nécessité de jouer, la rivalité entre compagnies, la difficulté de séduire le public, la lutte incessante pour trouver un mécène, la censure… sont autant de problèmes que rencontrent encore aujourd’hui les compagnies théâtrales. Le roman de Monsieur Molière ne relate donc pas seulement la vie du célèbre écrivain, mais aussi le quotidien d’une troupe de théâtre, un quotidien qui marque les esprits par son intemporalité, sauf peut-être en ce qui concerne la charrette.

Celle-ci est d’ailleurs, avec le fauteuil Louis XIII à la tapisserie passée et le piano à droite de la scène, l’un des trois éléments constitutifs d’un décor plutôt épuré. Volontairement dépouillé, ce dernier fait non seulement la part belle au texte et au jeu d’acteur, mais renvoie également à la modestie de la troupe de Molière. Ambulante, celle-ci ne pouvait certainement pas s’encombrer d’éléments superflus. Ce côté itinérant est justement suggéré par la charrette, pièce maîtresse du décor, dont l’intérêt est double. En effet, elle permet non seulement d’évoquer le moyen avec lequel l’illustre théâtre sillonnait les routes de France, mais aussi d’imaginer la scène qu’il montait les jours de représentation.

Ainsi, malgré la simplicité du décor, la force de suggestion de cette charrette nous permet de nous figurer sans peine la troupe de Molière errant de ville en ville en quête de public et parfois se produisant. Cela nous est d’autant plus facile que les deux comédiens présents sur scène y jouent quelques extraits des pièces de Molière. Ronan Rivière interprète les rôles que tenait Jean-Baptiste, ainsi que le dramaturge lui-même, tandis que Michaël Giorno-Cohen lui donne la réplique et se glisse dans la peau des nombreux personnages qui ont marqué l’œuvre et la vie de Molière, y compris Madeleine Béjart, la femme de sa vie (qui, rassurez-vous, ne lui ressemblait pas) !

Passages narratifs contés et extraits de pièces

Quel plaisir de voir condensé en un seul spectacle tant de pièces de Molière ! Les passages que les deux comédiens jouent sur scène rendent le récit de sa vie on ne peut plus vivant et bien agréable. Même si le ton de la biographie de Jean-Baptiste, écrite par Boulgakov, est assez léger et plutôt lyrique, même si à travers transparaît la passion de son auteur, ces extraits des pièces de Molière constituent des parenthèses bienvenues et impulsent à la pièce une certaine dynamique. Dans Le rRoman de Monsieur Molière alternent ainsi des passages narratifs contés par Ronan Rivière dans la peau de Boulgakov et extraits des pièces et de la vie de Molière.

L’œuvre de celui-ci, tout comme son existence, étant particulièrement dense, des pauses musicales ont été ménagées. Ces interludes, joués au piano, instrument de prédilection de Boulgakov, par Olivier Mazal, reprennent cinq morceaux de Jean-Baptiste Lully : en ouverture, au moment où Molière fuit Paris, quand la troupe revient à Paris… Ce sont autant de moments fugaces d’accalmie dans la vie tumultueuse de Jean-Baptiste.

Le succès de Molière ne suscita en effet pas que l’admiration. Calomnies et critiques acerbes furent aussi de la partie. « Contre la médisance, il n’est point de rempart. Les langues ont toujours du venin à répandre », disait Molière dans Tartuffe. La diatribe de l’Église contre lui après Don Juan en est la preuve. Sa mise en scène a été particulièrement soignée : Molière est avachi dans son fauteuil, le même que celui conservé à la Comédie française, l’air abattu. Il est dominé par un ecclésiastique, qui se tient debout sur le char, pile derrière lui. La lumière accentue le caractère sans appel du sermon de ce dernier. On se croirait dans une scène du Jugement dernier. Ironie du sort, Molière n’est ni du côté des justes ni de celui des pêcheurs.

Cette scène pourrait résumer à elle seule la vie du dramaturge et témoigne de la justesse et de la finesse de la pièce, qui nous démontre que Molière nous réserve encore bien des surprises.

Informations pratiques :

Le Roman de Monsieur Molière, mis en scène et adapté par Ronan Rivière, présenté dans le cadre du festival Off d’Avignon, du 6 au 29 juillet 2018, relâche les mercredis, à 14 heures 40, au théâtre du Petit Louvre, chapelle des Templiers. Durée : 1 heure 10.

Visuels : © Collectif Voix des Plumes

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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