Théâtre
[Avignon Off] Le parfait « Mirror teeth » : quand les abstractions jouent du couteau et du sexe

[Avignon Off] Le parfait « Mirror teeth » : quand les abstractions jouent du couteau et du sexe

16 July 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

Un texte de Nick Gill tout en concepts, et une mise en scène qui appuie ceux-ci. L’addition donne un spectacle excellent, dans lequel les ruptures de ton font office de véritables bombes. Mordez.

[rating=5]

Mirror teethUne famille de quatre membres. Une mère et une fille que triture le sexe, un père et son fils plus du côté des idées, avec une limite entre bien et mal plutôt estompée. Une famille, en apparence, normale. Bien blanche, bien aisée, bien dans ses certitudes, bien normale quoi. Cette normalité, le metteur en scène Guillaume Doucet a choisi de la souligner jusqu’à la caricature. A la limite de l’hystérie. Grand bien lui en a pris : sur scène, ce sont davantage des idées que des êtres humains qui s’agitent désormais. Des idées racistes, capitalistes, frustrées… Et les concepts conçus par le dramaturge Nick Gill de se trouver… incarnés. Le bingo des bingos.

Chaque certitude reste inébranlable. Tant mieux : les chocs qui se produisent font l’effet de bombes. La chair blessée qui couve, au sein du texte, sous les concepts généraux, finit par ressortir crûment. A ce titre, la fin du deuxième tableau est forte, très forte. Et les comédiens, pris dans une normalité hystérique, ont chacun le droit de se déchirer les entrailles au cours d’un subtil morceau de bravoure. Gaëlle Héraut, qui joue la mère, rompt son caractère lorsqu’elle accuse le petit ami de sa fille, anglais d’origine africaine, de la prendre pour objet de fantasme, « comme tous ceux de sa couleur ». Bérangère Notta, la fille, accède tardivement à la sincérité, pour quelques secondes, après une crise de catatonie… Au milieu de tout ce monde fou, le talentueux François-Xavier Phan, qui joue Kwesi, le petit ami, puis un inspecteur qui lui ressemble étrangement, incarne un doute sincère, infime mais essentiel. Infime car le ton doit rester à la normalité.

Comment expliquer que l’aspect politique passe sous une forme aussi amusante ? l’influence des sitcoms actuelles ? ou un équilibre subtil dans l’écriture ?… Sinon, le père bien normal a des activités professionnelles peu sympathiques, pour lesquelles il fera déménager sa famille dans un pays à fort potentiel… Le fils va tenter, une demi-seconde, de se révolter… N’ayez crainte : vous ne les avez pas déjà vues, ces situations. Pas poussées à ce degré de cohérence. Qui sait faire émerger, dans les plis du discours tout fait, une humanité souffrante. Qui fait elle-même peur, mais émeut aussi. La pauvre.

Retrouvez le dossier Festival d’Avignon 2014 de la rédaction

Visuel : François-Xavier Phan et Bérangère Notta © Caroline Ablain

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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