Théâtre
Avignon Off : « Boutik ou l’amour impossible ». Jusqu’où peut-on aller derrière un écran ?

Avignon Off : « Boutik ou l’amour impossible ». Jusqu’où peut-on aller derrière un écran ?

22 July 2018 | PAR Magali Sautreuil

Peut-on agir impunément sur la toile ? Le mal que l’on y cause, peut-il avoir des conséquences dans la réalité ? Peut-il être défait ? Boutik ne répondra peut-être pas à toutes ces questions, mais du moins, elle vous fera réfléchir et déliera sans doute des langues. Une des rares pièces qui s’adresse aux ados et qui en plus les aide à se construire.

Boutik, c’est l’histoire d’un gars qui n’a pas su gérer ses pulsions. À force de vivre derrière des écrans, il en a oublié comment on doit se comporter en société. Peut-être ne l’a-t-il jamais appris ? Son éducation, il la doit à Google, qui a répondu à toutes ses interrogations. De père, il n’en a point eu. Quant à sa mère, elle était trop paumée pour s’occuper de lui. Mais cela n’excuse pourtant pas sa conduite : on ne peut pas vivre dans le spectre des absents, ni se trouver des excuses pour regarder sa vie se consumer sans rien faire.

La solitude de cet homme est d’autant plus flagrante qu’il semble n’avoir aucun contact humain : « il est celui à qui on ne donne des nouvelles de personne de peur qu’il n’arrive un malheur ». La mise en scène contribue également à cet isolement, puisque le comédien, qui est seul en scène, n’est entouré que par des écrans. Au début de la pièce, il nous tourne même le dos. Nous voyons cependant son visage sur le grand écran de l’arrière scène grâce à la Webcam d’un de ses trois ordinateurs. Nous aussi d’ailleurs, nous apparaissons à l’écran. Nous sommes à la fois ses juges, ses contacts et son public. Nous sommes d’office placés dans la position du voyeur, une manière de dénoncer le principe même des réseaux sociaux. Par ce biais, le spectacle cherche à nous faire prendre conscience que nous sommes en train de violer l’intimité d’une personne. Nous ne nous en rendons même pas compte, tant nous sommes habitués à ce qu’Internet et les médias brouillent notre distinction entre vie privée et vie publique.

Mais les effets de ce dernier vont bien au-delà : notre existence entière est contrôlée en permanence par les écrans. L’homme qui se tient devant nous en est la preuve. Il n’a pas de nom. Cela pourrait être n’importe qui. Il ne vit qu’à travers ses PC et son Smartphone. Il ne pense plus, c’est l’informatique qui s’en charge à sa place. Ses mots ne lui appartiennent même plus : il emprunte ceux des grands écrivains, notamment lorsqu’il s’agit de séduire. Il mêle ainsi la prose et les alexandrins, alexandrins qui donnent une certaine musicalité au récit et qui contrebalancent la musique électro. Il ne sait même plus qui il est, si jamais il l’a su. N’a-t-il jamais pu se construire ? Et ce ne sont pas les nombreux avatars qu’il s’est créé et derrière lesquels il se cache qui l’ont aidé ! Mais à présent qu’il doit les supprimer, il a peur, peur d’être seul face à lui-même. Ce n’est qu’en s’en débarrassant qu’il pourra renaître et tenter de réparer ses erreurs.

 

Des erreurs il en a commises, mais a-t-il seulement conscience de leur gravité ? Devons-nous le blâmer, quand même la loi ne reconnaît pas comme des crimes graves le fait de se faire passer pour quelqu’un d’autre ou de pousser une personne au suicide sur la toile et quand l’âge légal pour créer un compte sur Facebook est de 13 ans ? 13 ans, c’est l’âge à partir duquel on est mondialement reconnu comme responsable de soi, alors que l’on est encore adolescent et que l’on tente de se construire. C’est une aberration !

Le harcèlement, même numérique, a des répercussions dans la réalité. Il peut pourrir la vie de quelqu’un jusqu’à le pousser au suicide, T.S. pour les initiés. Les dérapages et les dangers des réseaux sociaux sont connus de tous. C’est un sujet dont on entend souvent débattre, mais rarement dans une pièce de théâtre qui s’adresse aux adolescents. Ce sont pourtant eux les premiers concernés.

Il est certes difficile de les attirer au théâtre : la plupart n’en ont pas les codes et pour certains, cela peut être compliqué de rester concentré pendant une heure. Mais une fois le pas franchi, les ados se laissent captiver par le spectacle. Chez quelques-uns, il trouve même un écho particulier et les aide à parler de situations similaires qu’ils auraient vécu.

Pari gagné pour cette pièce engagée, qui après chaque représentation est suivie d’une discussion !

Informations pratiques :

Boutik ou l’amour impossible, de Sarah Fourage, sur une idée originale et une mise en scène de Valéria Emmanuele, présentée dans le cadre du festival Off d’Avignon, du 6 au 29 juillet 2018, relâche les lundis, à 16 heures 30, au théâtre du collège de la Salle. Durée : 1 heure.

Visuels : © Compagnie Les têtes de bois

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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