Théâtre
Aux abbesses, les berlinois She She Pop en scène avec leurs pères

Aux abbesses, les berlinois She She Pop en scène avec leurs pères

01 December 2012 | PAR Christophe Candoni

Dans « Testament » présenté dans le cadre du Festival d’Automne, le collectif berlinois She She pop interroge les fondements des rapports père / filles-fils et les notions de transmission et d’héritage à la lumière du Roi Lear de Shakespeare. Avec un humour décapant et une tendresse infinie, ils tentent de combler un évident fossé entre les générations et y parviennent.

Ils ne se disent ni metteurs en scène, ni acteurs, ni auteurs. Composer des personnages, incarner un texte ne les intéressent visiblement pas. L’objet artistique qu’ils proposent ressemble d’ailleurs moins à la représentation d’une pièce de théâtre – ce qu’ils ne font pas – qu’à un vrai beau moment de vie partagé. S’il fallait le classer, on dirait que ce travail tient de la performance puisqu’il est à saisir tel quel, sur le vif, qu’il revendique un rapport particulier au réel, qu’il a surement été réalisé à partir d’improvisations, que sa forme est contemporaine, que l’utilisation de la vidéo y est essentielle, tout comme l’adresse au public et le refus des conventions dramatiques qui font du plateau de théâtre un espace fictionnel. Si “Testament” est indéfinissable, c’est qu’il est avant tout une singulière expérience qui étonne, perturbe, émeut.

Les artistes de She She pop partent de leur vécu, du champ personnel, de l’intime. Et c’est en effet cette sensibilité particulière qui se distingue dans le spectacle. Pour aborder le thème de la paternité, ils ont eu la belle idée d’inviter leurs propres géniteurs (qui ne sont pourtant pas des acteurs) à les rejoindre sur scène. Ils ont répondu présent et participent en toute complicité à l’aventure et sans duperie (ils posent d’ailleurs à plusieurs reprises la question du bien fondé de cette apparente exhibition, formulent un doute, une inquiétude sur leur rôle à jouer).

Dans le chef d’œuvre de Shakespeare, le vieux Lear, roi déchu, convoque ses trois filles et réclame en échange de l’équitable et conséquent héritage qu’il leur destine une digne déclaration d’amour. Des deux premières, il ne perçoit pas la superficialité d’un discours emphatique mais mensonger tandis qu’il rejette la malheureuse Cordelia qui n’a su trouver les mots d’amour à adresser au père qu’elle chérit pourtant et passe à ses yeux pour une ingrate. Les She She pop rappellent que Goethe disait « en tout vieil homme sommeille un Lear » alors plutôt que de reproduire la tragique méprise racontée par la pièce dans laquelle les personnages sont conduits à leur déchéance, ils décident de prendre les choses en main, proposent une analyse du ratage de Lear (la démonstration mathématique d’un des pères est hilarante et frôle l’absurde), et prennent le pari de se parler, d’échanger, de clarifier la situation. Ils entament alors un franc dialogue, une discussion faite de reproches, d’interrogations, d’incompréhensions, d’inquiétudes. Ils dressent des listes, parlent des frustrations liées au sentiment d’avoir manqué d’amour, de la douloureuse dépendance des vieux en fin de vie. Chacun campe d’abord sur ses positions et justifie ses agissements puis une réconciliation advient et enfin un pardon à toutes leurs tentatives échouées, leurs maladresses et leur imperfection. Ensemble, ils se retrouvent pour écouter un vieux vinyle ou chanter une chanson (Something stupid), pour mieux appréhender la vie comme la mort. Du règlement de comptes, la pièce tourne savoureusement vers une belle déclaration d’amour.

Ce spectacle se présente comme une mise à l’épreuve, un moment choisi pour un instant de vérité. Il provoque sur le plateau une rencontre et fait entendre une parole qui ne pourrait se donner nulle part ailleurs. Pères et enfants se livrent devant nous, spectateurs témoins de la belle sincérité de leur démarche artistique et du résultat poignant d’une mise à nu, autant physique que symbolique, des êtres qui se présentent à nous et en qui nous nous identifions forcément.

 

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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