Théâtre
Au T2G, un agité en slip accroché à une boule à facettes géante dans «Ich schau dir in die augen…» de René Pollesch

Au T2G, un agité en slip accroché à une boule à facettes géante dans «Ich schau dir in die augen…» de René Pollesch

17 September 2012 | PAR Christophe Candoni

C’est l’image qui restera de cette rentrée théâtrale, celle du génial Fabian Hinrichs en slip noir suspendu dans les airs à une énorme boule de projecteurs et jeté à corps perdu dans une drôle de performance signée René Pollesch (texte et mise en scène). Le spectacle s’intitule « Ich schau dir in die augen gesellschaftlicher verblendungszusammenhang ». Comprenez en français, « Je te regarde dans les yeux, contexte d’aveuglement social », et admirez l’art du titre long et obscur propre à l’artiste allemand… Créé en 2010 à la Volksbühne de Berlin, il se donne au Théâtre de Gennevilliers dans le cadre du Festival d’automne. A découvrir !

Fabian Hinrichs, jeune homme de 36 ans, arrive par la salle, ne passe inaperçu que quelques brèves secondes ; il ne lui en faudra pas beaucoup plus pour investir la scène, se dessaper, jeter ses pompes et ses fringues dans le public. L’entrée en matière surprend, ravit. Totalement libre de ses faits et gestes, il n’hésite pas à « malmener » sans agressivité les spectateurs, qu’il fait participer, chanter, applaudir. Certains recevront des colliers de fleurs hawaïens ou des petits carnets jaunes jetés à l’aveuglette. Une dame a même manqué de peu de se faire brosser les dents. « Ne me laissez pas seul ! » lance-t-il. Toutes les tentatives ne prennent pas mais c’est assez amusant.

Il semblerait que sous ses allures de show divertissant, le spectacle est une visée plus sérieuse, critique, contestataire, “révolutionnaire”. Le texte de René Pollesch envoie valser les conventions d’un théâtre producteur d’un sens illusoire et partageable par tous, rejette le “théâtre interactif”, une forme d’art qu’il qualifie d’« écœurante », de « répugnante » et se fait le prédicateur d’un théâtre opposé, antithéâtral. C’est volontairement complexe, contradictoire, sûrement par goût du paradoxe et de la provocation, pas très éclairant et même parfois imbitable. Mais la performance est tout autant plaisante à simplement regarder l’acteur faire des siennes plutôt que de se visser les yeux sur des surtitres obscurs. Son énergie, son ardeur suffisent à nous contenter davantage que son discours théorique rasoir.

L’acteur n’est pas vraiment seul en scène mais retient toute l’attention. Parce que c’est une véritable bête de scène, un artiste multi-talentueux, un agitateur hors-pair, qui ne tient d’ailleurs pas en place. Il joue du piano, de la guitare, de la batterie, chante, fait du ping-pong, tout cela avec la jubilation d’un gamin potache et dissipé, et insuffle un vent de fraîcheur et d’impertinence sur le plateau.

A la fin, des ballons de couleurs volent vers les cintres, ambiance tristounette de fin de fête, une dernière chanson pour la route, plus mélancolique, des applaudissements enthousiastes, et c’est fini. On ne sort pas mécontent de ce moment curieux et sympathique, plutôt drôle, un peu longuet bien que très rythmé, libérateur et tout à fait inattendu.

PHOTO: LIEBERENZ

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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