Théâtre
Au Mouffetard, les marionnettes se font inquiétantes… (pour deux soirs)

Au Mouffetard, les marionnettes se font inquiétantes… (pour deux soirs)

12 October 2016 | PAR Mathieu Dochtermann

Le festival Scènes ouvertes à l’insolite se poursuit au Mouffetard – Théâtre de la marionnette à Paris, avec deux spectacles à l’affiche mardi et mercredi: Les maîtres du monde, satyre politique un peu bavarde mais très réussie visuellement, et Confession d’une femme hâchée, biographie sanglante à l’humour noir bien affûté. Cela mérite le coup d’oeil!

Le festival Scènes ouvertes à l’insolite du Mouffetard bat son plein, et les spectacles proposés en ce milieu de semaine restent intéressants, même si, comme il est d’usage lors d’un festival, on y voit des créations tout justes achevées, avec la fraîcheur mais aussi parfois avec le maladresse qui accompagnent la jeunesse.

Les maîtres du monde, d’abord, de Compagnie La Controverse, séduisent par le travail plastique impressionnant qui a été réalisé. Les marionnettes principales, caricatures d’institutions (FMI…) ou de métiers (banquier…), pris comme symboles du “système” et désignés comme les “Maîtres”, sont assez réjouissantes: le trader avec sa crête de punk en billets de banque, le FMI en pompier pyromane… Les marionnettes figurant les populations soumises au joug des Maîtres sont au contraire minuscules, fragiles, et beaucoup moins figuratives; pour autant, leurs manipulateurs les investissent d’une force poétique qui, jointe à leur fragilité, les rend très émouvantes. Ce qui impressionne, surtout, c’est le castelet extrêmement travaillé derrière lequel les trois marionnettistes opérent: doté de plusieurs plans, d’un plateau où camper des scènes miniatures avec des effets de zoom, de fenêtres qui figurent parfois des postes de télévision, il a été construit avec le souci du détail et une créativité indiscutable. Du point de vue narratif, le spectacle est notamment inspiré de l’essai Les nouveaux maîtres du monde de Jean Ziegler, et se veut une satyre politique avec une ambition didactique, quasi documentaire. On ne prendra pas partie sur le fond du discours, résolument antilibéral, mais la limite de ce genre d’exercice reste que le propos virulent risque de ne convaincre que les convaincus… Au-delà, l’humour acerbe et noir fait souvent mouche, mais on reste majoritairement dans un discours aux ambitions “sérieuses” et qui, à force de vouloir démontrer, finit par manquer de grâce… ce qui est d’autant plus dommage que certains passages moins explicatifs, moins bavards, plus tendres, font jaillir des éclairs de poésie ici et là: on se prend à regretter que le spectacle ne se l’autorise pas plus souvent…

Confession d’une femme hâchée, ensuite, de la Compagnie Nanoua, est un petit bijou en devenir, dont la filiation avec la rue est immédiatement perceptible dans ce qu’elle peut offrir de meilleur: liberté de ton, intensité, urgence, drôlerie, économie de moyens concentrant toute l’attention sur des images fortes et une narration au cordeau… Autoproclamé “spectacle grinçant de théâtre d’objets coupants”, il met en scène le récit biographique d’une jeune femme sensible venue au monde dans une famille de bouchers, en figurant les protagonistes au moyen d’une impressionnante collections de couteaux, hachoirs et autres outils pointus ou coupants. La technique ne se cantonne pas cependant au théâtre d’objet puisque la manipulatrice-narratrice, héroïne de la pièce et figurée par une tomate de plus en plus mûre à mesure que les âges de sa vie passent, est pleinement actrice. De très jolies scènes de théâtre d’ombres sont aussi présentées, dont on regrette presque qu’elles ne soient pas plus fréquentes. Le tout est mis au service d’un spectacle grinçant et tendre, terriblement drôle en même temps qu’il est terriblement cruel. Cette confrontation permanente d’un humour noir distanciateur et du récit de vie qui ne cache rien de la violence (de milieu, familiale, sexiste…) ni de la détresse vécue par personnage principal produit tantôt du clown émouvant, tantôt une poésie fragile (“A chaque paiement, j’encaisse un petit truc qui brille, dans leur regard, et je remplis mon monde, mon monde intérieur…” nous confie par exemple la narratrice). C’est un récit fort, qui frappe droit au coeur: il y est immédiatement question de mort, évidemment, mais aussi d’amour filial et romantique, de rêves contrariés et d’émancipation, de violence et d’avortement… Un spectacle qui a encore besoin de mûrir, vers un texte encore plus affûté et des images encore plus fortes, ainsi qu’une manipulation plus incarnée, mais il n’y a pas à s’y tromper: c’est un très beau moment de spectacle vivant auquel Fanny Bérard nous invite là!

Ces deux spectacles peuvent encore se voir mercredi 12. Le festival Scènes ouvertes à l’insolite se poursuit jusqu’au 15 octobre.

 

Les maîtres du monde (Compagnie La Controverse)
Ecriture collective librement inspirée de l’œuvre de Jean Ziegler, Les Nouveaux Maîtres du Monde
Metteur en scène : Marie Charlotte Biais,
Interprètes – marionnettistes : Jeanne Videau, Sylvain Blanchard, Carles Romero Vidal
Voix-Off : Athaya Mokonzi
Collaboratrice artistique, conception et construction marionnettes : Alexandra Shiva Mélis
Scénographie, décor et machineries : Patrick et Tonin Janvier
Création lumière et régie générale : Léandre Garcia Lamolla
Création son : Erwan Tassel
Dramaturgie et écriture additionnelle : Thierry Bedard et Gaël Massé

Confession d’une femme hâchée (Compagnie Nanoua)
Texte de Fanny Bérard
Ecriture et jeu : Fanny Bérard
Regard extérieur théâtre d’objets et aide à l’écriture : Cédric Hingouet (Scopitones et Cie) et Nito (Cie Niclounivis)
Regard exterieur clown : Maelle Perotto
Construction du billot : Marcel Hanse
Création lumière : Juliette Delfosse
Conseil artistique et technique : L’usinotopie
Photographe : Sebko

Visuels: (C) Sebko et Mathieu Malaud

Infos pratiques

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