Théâtre
Au Mouffetard, la marionnette au corps à corps avec sa manipulatrice.

Au Mouffetard, la marionnette au corps à corps avec sa manipulatrice.

16 October 2016 | PAR Mathieu Dochtermann

Ce week-end s’achevait la 11ème édition des Scènes ouvertes à l’insolite organisées par Le Mouffetard – Théâtre de la marionnette à Paris. On pouvait notamment y assister à des représentations de Le Corps Liquide et de La Barbe Bleue, spectacles ayant pour caractéristique commune l’érosion du clivage entre humain/manipulateur et objet/marionnette. Retour sur cette édition riche en découvertes.

Dernier weekend pour les Scènes ouvertes à l’insolite, en grande partie hors les murs (mais en partie dans ceux du partenaire le Théâtre aux mains nues).

On pouvait notamment y voir Le corps liquide, spectacle porté – au propre comme au figuré – par Thaïs Trulio, qui s’appuie sur un texte construit autour de l’histoire d’une femme âgée qui, s’étant échappée du banquet de mariage de l’un de ses fils, revient sur sa vie familiale et maritale dans une sorte de long monologue. Là où la mise en scène brille par son inventivité, c’est que le monologue de la marionnette portée devient une sorte de dialogue, ou un monologue à deux voies, lorsque la marionnettiste entre soudain en jeu après que la marionnette se soit avisée que les jambes prolongeant son corps ne lui appartiennent en fait pas. S’ensuivent des scènes de dédoublement et de jeux de miroirs, où marionnettiste et marionnette intéragissent, se cherchent,, trouvent une complicité, alors qu’elles ne forment finalement qu’un corps. La frontière se brouille alors entre manipulateur et manipulé, entre chair et tissu, humain et marionnette. De ce double jeu techniquement dangereux, car très difficile à rendre crédible, Thaïs Trulio se sort avec les honneurs: on se laisse facilement aller à oublier l’artifice, et la marionnette devient une partenaire de jeu dotée d’une vie autonome. Certes, le jeu est perfectible, la scénographie – volontairement ? – frustre, la mise en lumière très “plate”, et le spectacle, d’évidence, demande encore à être travaillé, mais la charge émotionnelle et poétique est déjà bien présente. Une artiste à suivre.

La Barbe Bleue est une autre proposition, exigeante, portée par l’artiste Céline Bernhard. Le spectacle tient évidemment du conte, puisqu’il consiste à mettre en images l’histoire de Barbe Bleue, mais dans une version moderne puisque revisitée par Bruno de la Salle – il y a donc de belles surprises pour le spectateur, avec un dénouement moins convenu que chez Perrault, la jeune femme prenant en main son destin, libérant par là même son amant et permettant à l’amour et à la sensualité d’advenir. Au-delà, l’aspect expérimental passe par le choix d’employer le corps de l’artiste comme un castelet, figurant des éléments architecturaux – le château – voir même des paysages entiers. Ce parti-pris confère plusieurs dimensions supplémentaires au spectacle: sensualité et émancipation du corps, beauté formelle de certaines postures chorégraphiées (comme souvent, la patte de Claire Heggen se cache derrière ce travail), transformation de la position de la marionnettiste… La mise en lumière particulièrement fine, en clairs-obscurs et teintes chaudes, met en valeur le travail visuel. On regrette néanmoins une trop grande complexité dans la proposition, l’artiste étant tour-à-tour marionnettiste, castelet, mais aussi actrice incarnant Barbe Bleue – à l’aide d’une mitaine et d’un masque en dentelle bleues – et une lavendière, mais également l’héroïne même du récit. Il en résulte un manque de lisibilité, les basculements d’un personnage à un autre, d’un symbole à un autre, étant souvent déconcertants, surtout pour un spectacle qui concentre tout en 30 minutes. S’agissant d’une première, on se doute que ces défauts dans la dramaturgie s’effaceront avec le temps, mais c’est déjà un spectacle recommandable pour son audace et pour sa beauté formelle.

Avec ces propositions – et d’autres encore que nous n’avons pas vues – s’achève cette 11ème édition de Scènes ouvertes à l’insolite. Le rôle de ce festival étant de mettre en avant la jeune création, dans ce qu’elle compte de talents en germe et de forces d’innovation, on peut dire qu’il est un succès. On en retient la confirmation que les formes s’hybrident – mélange des types de marionnettes, amenuisement de la frontière avec le théâtre d’objet, mobilisation croissante des techniques du théâtre d’acteur – et que le marionnettiste est décidément de moins en moins effacé et de plus en plus clairement en scène, rendant patente la nécessité d’un travail de comédien en plus de la maîtrise de la manipulation. Sur le fond, on sent avec une grande netteté que les spectacles sont alimentés, de façon plus ou moins revendiquée, par des questionnements d’ordre politique – en plus des spectacles ici rapportés, qui interrogent clairement la position de la femme, on peut également invoquer Frères ou Les Maîtres du Monde. La marionnette moderne n’est donc pas que poétique, elle est aussi politique, avec toute la puissance née de sa capacité inégalable à créer des tropes et des symboles forts avec quelques objets bien choisis. La suite de ce développement, à n’en pas douter, sera passionnante à suivre…

Le Corps Liquide (Thaïs Trulio – Collectif 23 h 50)
Texte de Kossi Efoui
Mise en scène, adaptation du texte et jeu : Thais Trulio

La Barbe Bleue (Compagnie du Coin qui tourne)
Conception et interprétation : Céline Bernhard
Regard sur la mise en scène : Kathleen Fortin
Regard sur l’interprétation : Eric Do Menicone
Regard complice : Véronique Caldérari, Michel Prica
Création lumière et régie : Julien Lang
Régie en alternance : Quentin Lemaire
Costumes : Elsa Poulie
Construction des marionnettes : Céline Bernhard
Accessoires : Aude Ardoin

Visuels: (C) Christophe Loiseau et Marion Puccio

Infos pratiques

Théâtre Petit Hebertot
Le Zèbre
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