Théâtre
« Argument » : les mots noyés de Pascal Rambert

« Argument » : les mots noyés de Pascal Rambert

27 January 2016 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Un couple qui se déchire avec comme toile de fond La Commune de Paris. Tel peut être l’argument dArgument, le dernier né de Pascal Rambert qui met au plateau un casting de rêve. Mais Marie-Sophie Ferdane et Laurent Poitrenaux, le couple phare de La Mouette mis en scène par Arthur Nauzyciel à Avignon en 2012, même enrobés de la lumière du génial Yves Godin et de la scénographie sombre de Daniel Jeanneteau, sont les protagonistes vides d’un monde qui lui se remplit.

Dès la première scène on doute. Trop c’est trop. Bien sûr que nous sommes sur la lande et elle pourrait être anglaise tant les deux tanguent dans leur costume d’époque. Il pleut des cordes sur la scène, le cadre noir est magnifique, anxiogène à souhait. Elle veut mourir, lui veut la retenir et la tuer en même temps. Sa « beauté est un poison » dit cet homme archaïque à cette femme «du futur ».

Ça a l’air dément, ça a tout pour être dément. Ça devrait ressembler à un cauchemar. Mais rien, rien à part un ennui vorace ne nous gagne face à cette version trash d’Une journée particulière. Chez feu Scola, un couple s’aimait en huis clos alors que le nazisme gonflait. Ici nous passions des années entrecoupées de noir rempli par la voix soporifique de Denis Podalydes qui nous raconte le pire d’un ton monocorde.

Bien sûr il ne faut pas comparer mais comment faire ? On repense sans cesse à la modernité de Clôture de l’amour, cette pièce géniale a l’écriture radicale. Ici Rambert commet l’erreur de mettre dans la bouche de ces deux monuments du théâtre un texte aux accents parfois fulgurants mais qui ressemble à s’y méprendre aux mots d’un auteur du XIXe. On pense notamment aux mots de Villiers de l’Isle-Adam qui décrit comme peu les interactions entre les hommes et les choses.

Il y a des tableaux sublimes ici et dans chaque scène des élans de chefs d’œuvres qui seront vite plombés. Il faut voir le corps de celui qui campa le mage déprimé dans les mots de Cadiot il y a déjà longtemps dialoguer avec une tombe. Malheureusement, le texte ardu, souffrant d’une accumulation énervante d’allégories se retrouve à être délivré à la chaîne par ce duo. Il y a trop ici d’idées superbes exécutées de façon contestable, telle l’image sculpturale de « l’enfant Ignace » dont on ne sait plus trop s’il est mort ou vivant, symbole d’un ciment que ce couple-là voudrait faire fondre.

Alors oui le XIXe siècle est un moment de l’histoire incroyable. La Commune de Paris a tout pensé en quelques jours, même le droit de vote des femmes. Le tout s’est fini dans un bain de sang. L’histoire ne peut pas être un prétexte. La pièce pourrait se passer à n’importe quel moment de rupture. Rambert semble prendre le contexte de 1871 comme un costume engoncé, autant serré que la robe qui empêche la comédienne de bouger alors qu’elle parle de liberté.
Le spectacle manque de lisibilité, Rambert voulait-il faire un prequel à Clôture de l’Amour ? Voulait-il nous dire que les sales idées rétrogrades sont de retour ? On le préfère quand il nous parle de rupture et d’explosions sans se cacher derrière des mots ampoulés.

Visuel © Marc Domage

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